-Nos médias se félicitent de la politique étrangère de Joe Biden et pourtant, les tensions entre les États-Unis et la Russie ne semblent pas s’apaiser ?
Jacques BAUD: -En effet ! Il est cocasse de voir Pascal Boniface se faire le chantre de « Super Biden » entre ses larmoiements pour n’être pas suffisamment invité dans les médias ! En fait, comme me l’avait dit à l’époque un de mes instructeurs de la CIA, les Européens comprennent très mal le système politique américain : il y a des Démocrates plus à droite que des Républicains et des Républicains plus à gauche que des Démocrates. C’est particulièrement vrai en matière de politique étrangère, que les Démocrates mènent généralement de manière plus agressive. Trente ans plus tard, c’est toujours vrai ! La composition de l’équipe de Biden l’indiquait déjà en 2020, mais en France, on ne voit bien que ce que l’on veut voir ! (Ce qui explique d’ailleurs les petits désagréments juridiques de certains, plus dus à leur méthode de travail qu’au fond de leur pensée… Je me comprends !)
La politique étrangère de Joe Biden est analogue à celle de Donald Trump : sans en avoir le côté flamboyant, elle est tout aussi chaotique. Ainsi, le 13 avril, lorsque Joe Biden propose à Vladimir Poutine un sommet pour discuter « toute une série de problèmes », les Russes répondent avec prudence et veulent voir si cette initiative reflète un réel souhait d’apaisement. Manifestement, les Russes ont mieux compris que Pascal Boniface, car le 14 avril Joe Biden impose de nouvelles « sanctions dures » à la Russie… L’art de prendre des mouches avec du vinaigre !
Quant à la rationalité de ces sanctions, ce n’est pas beaucoup mieux ! Pour les justifier, Joe Biden évoque l’attaque informatique de décembre 2020 (affaire SolarWinds) et les primes offertes par la Russie aux Taliban pour tuer des militaires américains. Deux affaires pour lesquelles les Américains n’ont jamais apporté aucune preuve ! Pour l’affaire des primes, non seulement même leurs services de renseignement pensent que c’est une fausse information, mais l’année 2020 a été la première année de la guerre en Afghanistan où les Américains n’ont pas eu un seul mort ! Quant à l’affaire SolarWinds, il apparait qu’elle a son origine en Israël et n’a aucun rapport avec la Russie…
Il n’y avait donc aucune volonté d’apaisement du côté américain, ce qui explique la retenue russe.
– L’affaire Navalny refait surface et s’accompagne d’accusations sur le sabotage de dépôts de munitions en Tchéquie. Vous avez été en poste à l’OTAN à l’époque des faits. Qu’en est-il ?
Jacques BAUD: -En fait, il faut revenir au 17 avril, lorsque les autorités russes annoncent avoir arrêté des individus qui préparaient un coup contre le président Lukashenko du Belarus. Vrai ou faux ? Dans cette ambiance de guerre des mots, on n’en sait rien. Toujours est-il que dans son discours à l’Assemblée Fédérale du 21 avril, Vladimir Poutine déclare :
[…] vous pouvez penser ce que vous voulez, disons, du président ukrainien Ianoukovytch ou de Maduro au Venezuela. Je le répète, vous pouvez les aimer ou ne pas les aimer […]. Vous pouvez avoir votre propre opinion sur la politique du président du Belarus Alexandre Loukachenko. Mais la pratique consistant à organiser des coups d’État et à planifier des assassinats politiques, y compris ceux de hauts fonctionnaires – eh bien, cela va trop loin. C’est au-delà de toutes limites.
Naturellement, aucun média occidental n’a relevé ce passage (ce qui semble indiquer que les accusations de Poutine sont bien réelles). Le point intéressant ici est que dans les heures qui ont suivi l’annonce de ce démantèlement, la Tchéquie a subitement accusé la Russie d’être responsable de l’explosion du dépôt de munition de Vrbětice en 2014 et annoncé l’expulsion de 18 diplomates russes… Pour ajouter au ridicule, l’accusation tchèque désigne comme responsables du sabotage les deux mêmes « agents » du GRU que Bellingcat avait « identifié » dans l’affaire Skripal.
En 2014, j’étais responsable de la lutte contre la prolifération des armes légères à l’OTAN. Ce dossier comprenait également la sécurité physique et la gestion des dépôts d’armes et de munitions (PSSM) des pays de l’OTAN. Or, l’accident de Vrbětice avait clairement été identifié comme un problème technique de défaut de maintenance, et strictement rien n’indiquait une action de sabotage. Clairement, la Tchéquie ment.
Cette désinformation, favorisée par la corruption endémique en Tchéquie participe aux efforts américains pour culpabiliser l’Allemagne de persévérer dans son projet Nord Stream 2 avec la Russie. Accessoirement, elle a permis d’influencer négativement la décision tchèque d’acquérir le vaccin Spoutnik V, qui divisait la classe politique (en provoquant la démission du ministre de la santé Jan Blatný au début avril parce qu’il s’opposait à l’acquisition du vaccin russe !), et d’exclure la firme russe ROSATOM de la compétition pour la construction d’une centrale nucléaire en Tchéquie !.. Navalny devrait exercer ses talents contre la corruption en Tchéquie (qui dispute, par ailleurs, à la Hongrie la première place mondiale du nombre de morts CoViD par habitants, avec un taux quatre fois supérieur à celui de la Russie) ! Ce qui donne une image assez précise de la qualité et de l’intégrité du leadership tchèque !
Donc, malgré sa conférence sur le climat, Joe Biden conserve les principales caractéristiques de la politique étrangère de Trump : le parjure (avec le non-respect de l’accord sur le retrait d’Afghanistan), le mensonge (avec le remplacement des militaires américains en Afghanistan par des mercenaires, qui ne tombent pas sous le coup de l’accord signé), la sottise (voir plus haut) et l’incohérence (ditto)… « Super Biden » !
–Merci de vos éclairages, Jacques Baud.
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