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La guerre d’influence et la propagande, suite des entretiens avec Jacques BAUD

-Jacques BAUD, vous nous avez proposé de traiter de la guerre d’influence de manière méthodique en nous arrêtant sur ses différents aspects. Pour rappel, ceux-ci sont:

-L’influence
-Les mesures actives
-La propagande et la censure
-La désinformation
-La mésinformation
-La fausse bannière

Aujourd’hui, nous voyons avec vous ce qu’il en est de la propagande.

Jacques BAUD: -En 1923, alors que le terme « propagande » n’avait pas les connotations d’aujourd’hui, le Larousse la définissait comme un « effort pour répandre une opinion ou une doctrine quelconque ». Il se basait alors sur son étymologie latine qui signifie « qui mérite d’être propagé ». Autrement dit, elle a pour objet des aspects que l’on souhaite mettre en évidence. En creux, on comprend que l’on ne diffuse pas ce que l’on cherche à dissimuler.

De nos jours, la définition du Larousse a perdu sa neutralité, a pris une connotation plutôt négative et est devenue : « Action systématique exercée sur l’opinion pour lui faire accepter certaines idées ou doctrines, notamment dans le domaine politique ou social ».

Techniquement, bien qu’on la confonde avec le concept de « désinformation », la propagande ne vise pas à disséminer de fausses informations, mais à éclairer positivement ou à enjoliver une réalité en diffusant des informations vraies, mais souvent partisanes. Même si l’image qui en résulte peut être faussée, elle se différencie de la désinformation en ce que son contenu est vérifiable. L’exemple des campagnes électorales est caractéristique : on cherche – assez logiquement – a faire apparaitre les candidats sous leur plus beau jour. La publicité est une forme de propagande, mais le terme reste privilégié pour les questions de nature politique.

En Occident, on distingue les propagandes « blanche », « grise » et « noire » en fonction de leur objectif :
– La propagande blanche, est la propagande faite de manière ouverte à travers des publications et dans les médias. Elle vise à appuyer et valoriser une stratégie d’action ou une position politique sur une thématique particulière. Jusqu’à la fin des années 1990, elle est essentiellement menée par des structures financées par les Etats. Il en est ainsi de Radio Free Europe/Radio Liberty (RFE/RL), créée par la CIA et le Département d’Etat américain au début de la guerre froide pour cibler l’URSS, qui opère encore de nos jours. Aujourd’hui, les médias se sont diversifiés et sont assez largement aux mains d’intérêts privés. Mais certains pays ont conservé des médias dédiés (comme France 24, TV5 Monde, France 5, Russia Today/RT, Radio-Télévision Suisse, Swissinfo ou la BBC) afin de relayer le message gouvernemental. Aux États-Unis, la propagande est articulée de manière sensiblement différente qu’en Europe, en ce qu’elle sert avant tout des groupes de pression. Dans le domaine du terrorisme, mentionnons ici les publications de l’État islamique, parmi lesquelles Rumiyah et Dabiq, qui – contrairement à ce que l’on lit dans la presse occidentale – sont davantage des organes de propagande, que de désinformation.
– La propagande grise, utilise des intermédiaires qui propagent les idées d’un gouvernement sous le couvert d’une institution ou d’un organe indépendant, sans lien apparent ou explicite avec le bénéficiaire de la propagande, afin de paraître plus acceptable. Elles sont généralement connues sous la désignation d’ « organisations de front ». Ces organisations sont souvent des organismes privés subventionnés de manière discrète (par des mandats de recherche, des publications, etc.) Parmi les dizaines d’exemples connus, mentionnons l’Investigative Project on Terrorism (IPT), basé aux États-Unis et animé par des « sionistes chrétiens » au profit d’Israël, la RAND Corporation, initialement créée et financée par l’US Air Force, ou le Royal United Services Institute (RUSI) en Grande-Bretagne. C’est le domaine des « lobbies ».
– La propagande noire, (« Black propaganda ») désigne les opérations d’influence clandestines dont l’auteur (ou le « sponsor ») ne peut être identifié. Elle est conçue et réalisée de manière délibérée par des officines des services secrets spécialisées dans ce genre de travail. Les actions de propagande noire ont le plus souvent un objectif politique déterminé, souvent très opérationnel. Historiquement, elles se situent dans le prolongement des « Morale Operations » (Opérations sur le moral) réalisées par l’Office des services Stratégiques (OSS) durant la seconde guerre mondiale, comme les opérations CORNFLAKES, PIG IRON ou SHEET IRON.
Durant la seconde guerre mondiale, la plus grande partie de la propagande noire à destination du 3e Reich était produite en Suisse par l’OSS et l’Office of War Information basés à Berne depuis 1942. Dès 1942, l’OSS/OWI a produit près de 400 modèles de tracts différents (imprimés en Suisse avec l’aide de dessinateurs suisses) dont certains exemples sont illustrés ci-dessous (collection de l’auteur). Il étaient ensuite disséminés en Allemagne à travers les réseaux de cheminots et de fonctionnaires postaux, et avec l’aide des services de renseignement suisses. L’avance alliée dans le nord de la France est appuyée de manière extensive avec des opérations psychologiques et, selon le rapport final de la Division de la Guerre Psychologique du commandement allié en Europe, dès la fin 1944, la Suisse fournit quelque 2000 tonnes de matériel de propagande par mois aux Alliés jusqu’à la fin de la guerre. Naturellement, le Rapport Bergier de 1998 – produit sans grande intégrité, mais avec beaucoup de mauvaise foi et d’ignorance – n’en mentionne pas un seul mot…

      

Images: Jacques BAUD, collection personnelle.

Tout cela n’est cependant que la forme la plus triviale de la propagande. Aujourd’hui, elle prend des formes plus subtiles. Par exemple, si l’on va visionner des vidéos sur YouTube, on notera sous les fenêtres de la chaine RT : « RT est financée totalement ou en partie par le gouvernement russe », alors que sous les fenêtres de la BBC ou France 24, on lit : « (BBC ou France 24) est un service public (britannique/français) ». La propagande est devenue aujourd’hui un phénomène complexe où se mêlent des intérêts parfois divergents, mais qui ont le même objet. Par exemple : le journal Haaretz affirme qu’aucun peuple n’a plus d’estime pour Trump que les Israéliens, pourtant, il semble (ce n’est pas confirmé à ce stade) que 2/3 des juifs américains ont voté pour Biden. Comme on le voit, il devient difficile de tirer des conclusions « linéaires » à partir des faits tels qu’on nous les présente. Pourtant, il y a une logique…

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Suite des entretiens avec Jacques BAUD sur ce terme très en vogue de « conspirationnisme » …

Jacques BAUD: -On associe souvent le conspirationnisme au populisme ou à l’extrême-droite. C’est souvent vrai, mais notre perspective est généralement faussée par l’absence de rigueur pour définir le « conspirationnisme » : la soi-disante lutte contre le conspirationnisme devient donc un instrument d’influence. Ainsi, en 2017 et 2019, la Fondation Jean-Jaurès (en collaboration avec l’IFOP et Conspiracy Watch) a publié deux enquêtes sur l’adhésion aux théories du complot dans la population française. La particularité de ces enquêtes est d’associer des questions d’importance mineure – comme la mort de Lady Di, la platitude de la terre ou le fait que les Américains ne seraient pas allés sur la lune – avec « l’importance accordée au fait de vivre en démocratie ».

La conception même des enquêtes fait que l’interprétation des résultats est problématique. Ainsi, le fait d’approuver l’affirmation « Les Illuminati sont une organisation secrète qui cherche à manipuler la population » n’implique pas nécessairement que l’on croie qu’ils le fassent effectivement. Pourtant le magazine Le Point – et… Le Temps ! – n’hésite pas à en tirer la conclusion qu’ « un Français sur quatre pense que les Illuminati nous manipulent ». C’est évidemment un mensonge : « chercher à » ne signifie pas qu’on le fait et le « nous » est une précision que la question initiale n’évoquait pas du tout. En l’occurrence, Le Point serait plutôt « complotiste » ! Par ailleurs, les questions elles-mêmes induisent en erreur. Par exemple, on demande de se prononcer sur la proposition « Seule une poignée d’initiés est capable de décrypter les signes de complot qui ont été inscrits sur les billets de banque, les logos de marques célèbres ou dans des clips musicaux ». Ainsi, on affirme que des « signes de complot […] ont été inscrits » sur les billets de banque ; il est dès lors logique de penser que seuls les initiés peuvent les comprendre. Pour avoir une réponse pertinente, il aurait fallu demander si l’ « on croit que des signes ont été inscrits… ».

Les auteurs de ces études jouent sur les ambiguïtés pour faire apparaitre des « théories complotistes », dans le but d’établir une corrélation entre l’adhésion à une « théorie du complot » et le doute sur la démocratie. Ainsi, l’affirmation « Le trafic de drogue international est en réalité contrôlé par la CIA » est très probablement fausse exprimée de cette manière ; mais elle n’est pas sans lien avec la réalité. Déjà en 1993, le New York Times affirmait que les liens entre la CIA et le trafic de drogue remontaient à la création de l’agence. Car la CIA a effectivement été – et reste – impliquée dans de nombreux trafics de drogue. À la fin des années 40, en échange de la lutte contre les syndicats communistes à Marseille, la CIA avait permis aux mafias italienne et corse de poursuivre leurs trafics de drogue : c’est la célèbre « French connection ». Plus tard, en Indochine, s’inspirant de la stratégie du SDECE français, qui avait financé la production et la distribution de drogue pour obtenir le soutien des tribus Hmong (Opération X), la CIA a effectivement soutenu les producteurs d’opium du « Triangle d’Or » dans les années 1960 – 1970 (Opération PAPER), afin de créer un rempart contre la progression du communisme dans le Sud-Est asiatique et organisé les transports de drogue. En Amérique latine, la CIA a appliqué la même stratégie en soutenant les producteurs de coca afin de contrer l’implantation de maquis marxistes… avant de se retourner contre eux après l’échec des guérillas communistes En Afghanistan, sous le gouvernement des Talibans, la production d’opium avait été réduite un minimum historique de  74 tonnes en octobre 2001, mais 17 ans après le début de l’intervention occidentale à la fin 2018, elle atteignait 6 400 tonnes, soit 82% de la production mondiale. Malgré que l’éradication de la production de drogue ait été l’un des objectifs de leur intervention en Afghanistan , les Occidentaux ont été incapables de lui trouver une alternative. En fait, les Américains et l’OTAN ont fermé les yeux et même protégé cette culture illicite afin d’éviter que les seigneurs de la guerre locaux ne s’allient avec les Taliban. En 2010, l’OTAN a même refusé une offre russe pour éradiquer les plantations d’opium.

Ainsi, affirmer que le trafic de drogue international est « contrôlé par la CIA », est certainement une affirmation fausse, mais douter de l’éthique des États-Unis et d’institutions internationales à ce propos est loin d’être irrationnel !

De même, l’affirmation « certaines traînées blanches créées par le passage des avions dans le ciel sont composées de produits chimiques délibérément répandus pour des raisons tenues secrètes » est très certainement fausse aujourd’hui, mais les craintes qu’elle reflète est aussi basée sur des faits réels. Les 26-27 septembre 1950, la marine américaine a disséminé secrètement des agents biologiques au-dessus de la baie de San Francisco (Opération SEA SPRAY) afin de tester la vulnérabilité d’une zone urbaine. L’opération ne sera dévoilée qu’en 1976, mais elle a été reproduite dans d’autres pays, notamment en Grande-Bretagne au début des années 1970 . En 1977, l’armée américaine confessera avoir mené 239 expériences de dissémination d’agents biologiques sur des populations entre 1949 et 1969 . A l’évidence, les trainées que l’on peut voir aujourd’hui dans le ciel derrière les avions (« contrails ») sont un phénomène physique qui n’a aucun lien avec des armes chimiques, et il est très improbable que de telles expériences soient encore menées de nos jours; mais, les craindre n’est donc pas totalement irrationnel non plus. Le problème ici est que ceux qui cherchent à « débunker » ces théories complotistes le font mal : au lieu d’expliquer l’origine de cette crainte et rationnaliser la question, il y répondent de manière dogmatique, notamment, comme le fait Le Temps, en accusant ceux qui y croient de « défiance envers la démocratie ». Or c’est précisément cette opacité dans le « débunkage » qui contribue au développement de théories complotistes.

Les outils mis en place par certains médias sont eux-mêmes devenus des outils d’influence… et de désinformation. Car finalement, le terme « conspirationnisme » ou « complotisme » ne finit par être utilisé seulement pour discréditer une opinion divergente. En mars 2013, la passe d’arme entre Patrick Cohen et Fréderic Taddeï sur France 5 illustre la tendance actuelle d’exploiter le « complotisme » pour y adosser une forme de censure et imposer un discours officiel. Patrick Cohen défend l’approche de filtrer les opinions venant de « cerveaux malades » dans les médias publics, car on n’a pas le droit de penser ce que l’on veut.

François Asselineau, candidat à la présidentielle de 2017, dérange : sa connaissance des dossiers, la solide argumentation qu’il a développée contre l’UE, l’Euro et l’OTAN en ont fait un adversaire redouté au plan politique et sur les plateaux de télévision, même si son audience reste modeste. N’hésitant pas à mettre le doigt sur les détails qui dérangent nos préjugés, il est souvent qualifié de « complotiste » par la presse. Il affirme, entre autres, que la construction de l’Europe était initialement un projet américain et que le Dalaï Lama était un agent de la CIA. Or, bien que le mot « agent » est impropre, (car techniquement, le Dalaï Lama n’a jamais été un « employé » de la CIA, mais plutôt une « ressource » (en anglais : asset), le Dalaï Lama et son mouvement ont bel et bien été soutenus par l’ «Agence » dès l’annexion du Tibet par la Chine, en 1950 . La CIA l’exfiltre de Chine en mars 1959, arme et finance les mouvements de résistance qui lui sont fidèles aux confins du Népal et de l’Inde jusqu’au début des années 70 (avec le rapprochement entre le gouvernement Nixon et la Chine). Mais le soutien aux mouvements tibétains s’est poursuivi dans le cadre des « révolutions de couleur » à travers des institutions et fondations financées par le gouvernement américain. Évidemment, l’association entre un guide spirituel respecté et une agence d’espionnage nous choque et nous tendons à la qualifier de « complotiste ». Mais c’est ignorer que le Dalaï-Lama est une des clés de la légitimité de l’autorité de la Chine dans cette province turbulente et qu’elle a tenté d’imposer « son propre » dalaï-lama : l’enjeu est ici stratégique, plus que spirituel.

De même, les Européens n’aiment pas beaucoup l’idée que « leur » Europe ait été façonnée par les États-Unis et la CIA. C’est pourtant vrai ! En 1945, l’Union soviétique fait face à une Europe exsangue et très affaiblie sur tous les plans. Les États-Unis comprennent que les rivalités qui avaient conduit aux deux guerres mondiales pourraient faire le jeu de l’URSS dans un nouveau conflit. Ce risque est d’autant plus grand que la libération de l’Europe s’est largement appuyée sur les maquis communistes (comme en France et en Italie), qui entretiennent des liens étroits avec Moscou. Les Américains cherchent donc à favoriser en Europe un paysage politique resserré sur le centre, et débarrassé des extrêmes de droite comme de gauche. C’est la raison pour laquelle la CIA financera le syndicat Force Ouvrière en France dès 1948 (pour « casser » l’influence soviétique dans le mouvement syndical ) et la Démocratie Chrétienne en Italie, afin de contrer le puissant parti communiste aux élections de 1948. Entre 1947 et 1953, la CIA aurait versé plus d’un million de dollar au Mouvement Européen britannique . En 1975, lors du référendum pour le maintien (ou non) de la Grande-Bretagne dans la Communauté Economique Européenne (CEE), la CIA soutien financièrement le mouvement en faveur du « oui » . Une ingérence bien avant la Russie… mais avérée, celle-là !

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21 juin 2015, 26 juillet 2016, 16 octobre 2020, décapitations sur sol français

Encore un Russe!

Oui, vous avez donc bien toutes et tous entendu et lu que la décapitation d’un professeur, commise sur sol français, a été le fait d’un « Russe-Tchétchène ».

Mieux, selon le Journal du Dimanche, on s’interroge sur la raison pour laquelle la justice française avait «  contraint l’État en 2011 à octroyer le statut de réfugié à la famille Anzonov »

Et pourquoi, « Après une longue instruction, l’administration avait refusé son maintien en France. »

Or, lit-on encore, « la Cour nationale du droit d’asile avait cassé cette décision. Depuis le mois de mars, Abdoullakh Anzonov était donc devenu, pour dix ans, un adulte en situation régulière. ».

Accueillir sur son sol des malheureux est noble.

Découvrir le résultat auquel on arrive avec certains d’entre eux ne doit, certes pas être généralisé. Sauf que la France n’en est désormais plus à son premier décapité.

Rappelez-vous, la première tête fichée sur une grille, c’était le 26 juin 2015, à Saint-Quentin-Fallavier. Un an plus tard, le 26 juillet 2016, le Père Jacques Hamel est égorgé à Saint-Etenne du Rouveray.

Charité oblige?

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Haut Karabagh, la guerre encore et encore

Avertissement: Ce sujet est publié une seconde fois sous un autre titre pour voir si le terme arménien utilisé pour désigner le Haut Karabagh a fait problème sur un réseau social bien connu où le sujet n’a pu être partagé dans certains groupes.

Quelles que soient ses appellations, arménienne ou occidentale,  l’Histoire de cette république du Caucase est complexe.

Elle est rappelée sur différents sites, comme il se doit mais je vous propose de vous rendre sur celui du Ministère des Affaires Etrangères d’Arménie.

Pourquoi?

Parce qu’il est intéressant de saisir le point de vue de l’Arménie de laquelle cette république revendique les racines aussi profondes qu’historiques

Il va de soi qu’à lire d’autres approches comme, par exemple, celle publiée sur le site Cairn.info et indiquée en lien ci-après, son intitulé seul suffit à la situer:

L’Etat de facto du Haut-Karabagh arménien.

Le fait est que des vies sont en jeu, que les forces en présence sont animées par autant d’intérêts géostratégiques que de valeurs respectives à défendre.

Et que les négociations en vue de régler pareil conflit entre parties qui campent sur leurs positions sont extrêmement délicates à mener vu la violence qui sévit depuis ce 27 septembre.

Car, en effet, c’est sous la médiation des co-Présidents du Groupe de Minsk de l’OSCE, Russie, Etats-Unis d’Amérique et France que sont placés les espoirs d’accord à trouver.

Pendant ce temps-là, le sang coule de plaies béantes que l’animosité particulièrement guerrière de ce nouveau conflit ouvre à nouveau.

En pensée avec autant de victimes de l’aveuglement humain qui n’a pas fini de briser des vies.

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Pauvres et tristes gens

Mais que le monde devient triste!

Par « monde », devrais-je préciser qu’il s’agit, surtout, de « petit monde ». De celui qui rassemble des personnes investies d’un tel sentiment de justice qu’elles se voient légitimées à l’exercer.

Aussi ai-je trouvé cet article dont la capture d’écran de l’intitulé illustre ce sujet qui révèle comment on procède pour que règne l’ordre.

Ce n’est pas de la démarche dont je discuterai ici. Non, ce qui a attiré mon attention est une phrase bien précise.

Le journaliste qui en est l’auteur s’adresse à un groupe de personnes qu’un de ses collègues a infiltré, pour la bonne cause, il le précise selon des articles de droit auxquels il se réfère et qu’il cite.

Mais c’est cette phrase ci-après indiquée en caractères italiques et gras qui a, pour ma part, retenu toute mon attention tant elle témoigne, au mieux, d’une évidente naïveté, au pis, d’une toute aussi évidente malhonnêteté:

Vous ignorez le «je ne sais pas» des scientifiques et des journalistes au début de leur enquête.

En d’autres termes, les « scientifiques » et les « journalistes » seraient de très correctes gens qui, tel Socrate, seraient de celles qui avoueraient savoir qu’elles ne savent rien?

Ou pour reprendre les termes de l’article, qu’elles seraient de celles qu’habiterait le « je ne sais pas »?

Eh bien donc, ravie de l’apprendre! Et de mesurer le haut degré d’appréciation de lui-même que l’auteur de cet article affiche.

Car enfin, je suppose qu’il se range parmi ces « scientifiques » et ces « journalistes » dont il partagerait le « je ne sais pas ».

Si tel est le cas, il n’est pas le seul. Un de ses confrères va jusqu’à savoir ce que je saurais moi-même comme il l’a écrit en commentaire ici-même, commentaire auquel j’ai répondu.

Bravo à vous, Messieurs, on en redemande mais pas trop sans quoi l’indigestion guetterait.

Cela dit, je ne suis pas de celles et ceux qui contre « Satan », lutteraient pour « la vérité » et qui sauraient ce qu’il en serait de réalités cachées.

Je suis une femme qui aime ses deux pays d’origine, qui a aussi l’audace d’aimer la Russie et qui, au bénéfice d’une formation universitaire, exerce non pas son sens de la « justice »  mais son esprit critique.

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Entre complotisme et complot, quelle nuance? Sixième entretien avec Jacques BAUD

-Jacques BAUD, merci de clarifier encore un élément relatif au complotisme. Si celui-ci consiste à arranger l’énoncé de faits dans le but de contribuer à une stratégie d’influence, les vrais complots existent-ils?

Jacques BAUD: -Le problème essentiel est que les complotistes – et ceux qui prétendent les combattre – n’ont pas de rigueur pour définir le complotisme. Par exemple, Conspiracy Watch voit dans le fait de croire que « Dieu a créé l’homme et la Terre il y a moins de 10000 ans » comme une théorie complotiste ! A l’évidence, il s’agit d’une croyance, qui n’implique pas l’existence d’un « complot ». En fait, il s’agit de discréditer ceux qui – à tort ou à raison – ont une lecture littérale de la Bible. On trouve exactement le même phénomène avec d’autres sites qui prétendent faire du « fact-checking ». Cette absence de rigueur facilite la confusion entre des « suppositions » et la « réalité ».

Comme nous l’avons vu, la problématique de notre action dans la situation internationale actuelle est, qu’elle est dictée par des présomptions que l’on transforme en certitudes. On est « complotiste » lorsqu’on doute de la responsabilité de Vladimir Poutine dans l’empoisonnement de Serguei Skripal ou Alexeï Navalny, mais on ne l’est pas lorsqu’on affirme qu’ils été l‘objet d’un « complot » ourdi par le gouvernement russe…

Ce qui favorise l’élaboration de théories du complot est clairement l’absence de transparence. Celle-ci vient le plus souvent du fait « qu’on ne sait pas » et parfois parce qu’on ne peut ou ne veut pas communiquer sur un sujet. Ici, il faut également démonter un mythe répandu : les services de renseignement savent beaucoup moins que ce que l’on pense !

La faiblesse des théories du complot réside pratiquement toujours dans la réponse à la question : « A quelles fins ? » Il s’agit de comparer le gain qu’apporterait une « conspiration » par rapport au risque politique encouru au cas où elle serait éventée. En fait, le plus souvent, on constate que le « comploteur » aurait pu obtenir le même résultat plus facilement et à moindre coût.

Un exemple est la publication de la « vidéo intime » de Benjamin Griveaux, en février 2020. Immédiatement, on suggère que la Russie (et donc, Vladimir Poutine) est impliquée dans sa diffusion! Dans quel but ? Pas de réponse. A quelle fin la Russie, en délicatesse avec l’Europe, prendrait le risque de s’impliquer dans l’élection d’une mairie (même celle de Paris), pour nuire à un candidat dont la campagne électorale est navrante depuis son début et « vouée à l’échec » ? Toujours pas de réponse ! Avec des « on dit que… », un journaliste de LCI suggère même que Piotr Pavlensky – l’auteur de la fuite – bénéficiait d’une « forme de complaisance » de part de la police russe et serait une « personnage qui pratique une duplicité … » et suggère qu’il serait employé par le gouvernement russe ! Pourtant, Cédric O, secrétaire d’État au Numérique, affirme ne disposer d’ « aucune information qui laisse penser qu’il pourrait y avoir autre chose qu’un agissement personnel » et qu’il n’a « aucune preuve, ni aucun indice qui nous laisse penser que la Russie soit impliquée ». Donc : rien ! Mais personne n’a qualifié tous ces brillants journalistes de « complotistes » !

C’est pourquoi j’aime bien citer Michel Rocard : « Toujours préférer l’hypothèse de la connerie à celle du complot. La connerie est courante. Le complot exige un esprit rare. »

Cela dit, cela ne signifie pas que les « vrais » complots n’existent pas. Mais ils sont beaucoup plus « discrets » que ceux que l’on nous présente dans la presse. Ils sont le fait d’acteurs qui se sentent – à tort ou à raison – dos au mur et ne voient pas d’autre alternative pour agir, et qui sont prêts à prendre le risque pour des raisons existentielles. C’est (très probablement) le cas de l’assassinat de Kennedy, pour lequel je pense que la version officielle ne reflète pas la réalité et les indices existant. C’est pourquoi cela n’est certainement ni la mafia, ni la CIA, ni le haut commandement militaire américain, ni les Soviétiques, ni les Cubains…

L’influence a toujours existé et fait sans doute partie de la manière dont les humains interagissent. Le problème est que nous devons admettre que bien souvent, nous ne connaissons pas la vérité. Dès lors, chacun peut avoir des interprétations différentes d’un événement : de la plus compréhensive à la plus intransigeante. C’est légitime. Mais, dès lors que ces interprétations doivent se traduire par des décisions, je pense qu’une certaine retenue doit guider le décideur politique et ceux qui les conseillent.

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Jacques BAUD réagit à la critique de son livre par Pascal BONIFACE

-Jacques Baud, après avoir suivi la vidéo que Pascal BONIFACE a postée sur Youtube et qui est consacrée à son appréciation de votre livre « Gouverner par les FAKE NEWS », j’ai souhaité avoir votre réaction. Vous avec bien voulu accepter d’en faire part et je vous en remercie.

Jacques BAUD: -En fait, je doute un peu de sa sincérité lorsqu’il affirme avoir lu l’ouvrage. Il n’y a pas un point de juste dans sa critique : il ajoute des éléments qui n’y sont pas, conteste les aveux de l’ex-directeur de la CIA, m’attribue des intentions que je n’ai pas, et n’a manifestement pas compris la finalité de l’ouvrage – pourtant décrite en toutes lettres –, pour finalement le trouver « trop systématique » !

Or, c’est précisément le manque de systématique dans notre manière de traiter l’information, que je critique dans cet ouvrage. En reprenant point par point :

  • Il affirme que la thèse de mon ouvrage est que « les gouvernements occidentaux font des fausses informations pour justifier leurs interventions ». C’est faux ! En fait, la thèse du livre est écrite en toutes lettres dans l’introduction et postule que les décisions occidentales sont le plus souvent basées sur des informations partielles, partiales, souvent erronées et très souvent invérifiées. D’ailleurs l’exemple qu’il donne de la guerre en Irak ne se trouve pas dans mon livre, car ce n’est pas le propos. Je n’affirme pas que les gouvernements créent de vrais mensonges, mais qu’ils utilisent de fausses vérités.
  • Il conteste l’affirmation selon laquelle les Soviétiques sont entrés en Afghanistan à cause de l’action des Etats-Unis. Mais comme je l’écris dans le livre, cette affirmation ne vient pas de moi, mais de l’ancien directeur de la CIA Robert Gates, qui l’écrit dans ses mémoires. En fait, les Soviétiques ne voulaient pas intervenir en Afghanistan et avaient résisté aux demandes répétées du gouvernement afghan de l’aider à stabiliser la situation. La décision américaine déstabiliser le gouvernement afghan dès le début 1979, en soutenant clandestinement la rébellion islamiste (Moudjahidin) a eu pour conséquence de stimuler un terrorisme qui commençait à déborder dans les républiques du sud de l’URSS. Je me rappelle d’ailleurs que nous avions de très nombreux messages – alors SECRET – qui faisaient état d’un terrorisme islamiste, dans les districts militaires du Nord Caucase et du Turkestan. C’est probablement ce qui a incité les Soviétiques à finalement intervenir. Il s’agissait bien sûr de soutenir le régime en place (bien qu’ils aient éliminé le président Amin) mais aussi (et peut être, surtout) de protéger leur frontière Sud. Ce qui explique que parmi les premières troupes terrestres engagées en Afghanistan on trouvait les troupes de gardes-frontières du KGB. L’affirmation de Robert Gates sera plus tard confirmée par les déclaration de l’ancien conseiller à la Sécurité Nationale Zbigniew Brezinski.
  • Quant au Liban, il conteste mes doutes sur le lien automatique que l’on fait aujourd’hui entre le Hezbollah et les attentats de Beyrouth contre les contingents français et américains, en octobre 1983. Pourtant, alors membre des « services », je me rappelle très bien que personne n’était en mesure de dire qui avait perpétré ou commandité les attentats. On a tenté d’expliquer par la suite qu’il s’agissait d’une vengeance de l’Iran pour le soutien apporté par la France et les Etats-Unis à l’Irak dans le Golfe. Mais en fait, on n’en sait rien et cela n’est qu’une hypothèse. On notera que le contingent italien (alors déployé entre les deux autres) n’a pas été visé. Pourtant l’Italie apportait elle aussi un soutien à l’Irak, notamment en lui fournissant des mines (qui ont fait tant de dégâts parmi les fantassins iraniens) et contribuait à la construction de la capacité nucléaire irakienne. Donc l’hypothèse de la vengeance iranienne n’est pas très cohérente. L’hypothèse la plus probable, est que des milices (chiites ?) ont voulu se venger ou pousser les contingents français et américains à cesser de participer aux opérations aux côtés de milices pro-gouvernementales. De fait, en s’associant avec des acteurs locaux, ces contingents n’étaient plus considérés comme des forces d’interposition, mais étaient devenus des parties au conflit. C’était clairement une erreur de stratégie de la France et des États-Unis (pour des raisons différentes). Mais il est évidemment difficile d’accepter que les attentats auraient résulté d’une erreur de stratégie !
  • Notons que les attentats ont été revendiqués par le Mouvement de la Révolution Islamique Libre (MRIL), une organisation inconnue, qu’on n’a jamais pu associer formellement au Hezbollah. De plus, comme je l’écris dans le livre, Caspar Weinberger, secrétaire à la Défense en 1983, déclarera en 2001 qu’on ne savait toujours pas qui étaient les auteurs des attentats!
  • Quant au fait que le Hezbollah existait déjà en avant 1985, c’est une pure spéculation : aucun document officiel ou publication spécialisée entre 1982 et 1985 (date de sa création officielle) ne le mentionnait. D’ailleurs, même les Américains – si rapides à désigner des groupes comme terroristes – n’ont porté le Hezbollah sur leur liste des organisations terroristes qu’en août 1997.
  • On notera par ailleurs, que le gouvernement français n’a considéré la branche armée du Hezbollah comme mouvement terroriste qu’en 2013, soit 30 ans plus tard ! Dans des circonstances d’ailleurs très discutables ! La décision a été prises après l’attentat de Burgas (Bulgarie) en 2013, où les Israéliens prétendaient que le Hezbollah en était l’auteur. Or il s’est avéré plus tard, que le procureur bulgare qui instruisait l’affaire a finalement retiré le Hezbollah de l’acte d’accusation, car aucun élément n’incriminait le Hezbollah dans cet attentat. Pourtant ni la France, ni l’Union Européenne ne sont revenues sur leurs décisions. Ce qui souligne ma thèse que des décisions importantes sont prises sur des informations erronées ou inexactes.
  • Pascal Boniface suggère que je réfute le fait que Bachar al-Assad soit un criminel de guerre. C’est tout simplement faux et cela ne figure nulle part dans mon ouvrage. En revanche, je conteste l’affirmation selon laquelle il chercherait à éliminer son propre peuple (ce qui n’a aucun sens) ainsi que la qualité et l’origine des informations et des chiffres qu’on avance pour affirmer et justifier cette accusation, et qui proviennent exclusivement de l’opposition (y compris pour les organisations internationales).
  • Quant à l’usage d’armes chimiques en Syrie, Pascal Boniface prétend que je cherche à nier que Bachar al-Assad les ait utilisées. C’est inexact. Je constate simplement – et décris en détail – qu’en août 2013, Obama ne s’est pas joint à Hollande, parce que son service de renseignement militaire (la Defense Intelligence Agency – DIA) avait des informations convaincantes que l’emploi d’armes chimiques à la Ghouta n’était probablement pas le fait du gouvernement, mais plutôt des rebelles. Concernant les deux incidents de Khan Sheykhoun (2017) et Douma (2018), le lecteur pourra constater que je conclus qu’on n’en sait rien… ce qui n’a pas empêché les Occidentaux de frapper la Syrie, avant même que des commissions d’enquête aient fait leur travail.
  • Je relève également dans mon livre qu’en avril 2017, soit deux jours après l’incident de Khan Sheykhoun, Pascal Boniface affirmait sur France 5, qu’il n’y avait « aucun doute » que Bachar al-Assad y avait utilisé des armes chimiques. Mais c’était probablement faux, puisque le président Emmanuel Macron, 10 mois plus tard, en février 2018, déclarait que « nous n’avons pas de manière établie par nos services la preuve que des armes chimiques proscrites par les traités ont été utilisées contre les populations civiles ». A la même époque, le général Matthis, alors secrétaire à la Défense américain, déclarait lui aussi que les services américains n’avaient aucune preuve de l’usage d’armes chimiques par l’armée syrienne en 2013 et 2017. Deux mois plus tard, après l’incident de Douma en avril 2018, Emmanuel Macron affirme détenir des preuves de l’utilisation d’armes chimiques, mais le même jour, le général Matthis affirme que les services américains sont toujours à la recherche de ces preuves….

Pour chaque point qu’il évoque dans sa vidéo, Pascal Boniface nie les affirmations d’acteurs de première main ou crée des certitudes à partir d’hypothèses. Je ne voudrais pas utiliser les mots « négationnisme » ou « complotisme » (car il n’a certainement pas d’intention politique ici), mais techniquement, il s’agit du même phénomène. C’est exactement ce que je dénonce dans mon ouvrage.

En fait, il n’a pas compris l’essence de l’ouvrage : contrairement à ce qu’il suggère, je ne dis pas qu’il faut douter de ce disent les gouvernements, mais des éléments qu’ils utilisent pour décider. Car en créant des certitudes à partir de suppositions et réarrangeant les faits, nous poussons nos gouvernements vers des décisions inappropriées et des interventions contraires au droit international aux conséquences imprévisibles.

A la différence d’un chercheur, l’analyste de renseignement produit des documents sur lesquels seront fondées des décisions. Ainsi, un chercheur comme M. Boniface peut se permettre de travailler sur des hypothèses sur la base d’intuitions, de présomptions ou de suppositions, c’est légitime, c’est son travail et c’est utile. Mais pour l’analyste de renseignement, le travail commence là où se termine celui du chercheur : il doit étayer son produit par des faits.

Or, paradoxalement, les faits sont une denrée rare. Les recueillir est un problème majeur dans des conflits complexes, avec des acteurs très différents, aux structures changeantes et quasi-impénétrables parce que très petites. Or, pour différentes raisons, les services de renseignement ont beaucoup moins d’agents sur le terrain qu’on ne l’imagine. C’est d’ailleurs la même chose pour la presse : pour faire des économies, on préfère avoir des « correspondants » qui glanent des informations, le plus souvent dans les rangs de l’opposition. Il en résulte que notre image du conflit n’est restituée qu’à travers un seul prisme : elle est donc partielle, mais – surtout – souvent partiale.

L’absence de faits ou de transparence sur les faits est la porte ouverte au complotisme. Techniquement, le complotisme est le fait de combler les manque d’informations en « réassemblant » les faits en fonction d’une logique et d’objectifs arbitraires. La création d’un « califat mondial » par les islamistes, la « domination du monde » par les juifs, l’élimination du peuple syrien par Bachar al-Assad, etc. sont typiquement des objectifs qui ont été imaginés par quelques obscurs chercheurs, qui ne sont confirmés par aucun élément concret, mais tendent à influencer des individus et des gouvernements.

Mon livre va exactement à l’opposé : il montre ce que l’on sait, ce que l’on ne sait pas, et ce que l’on sait mais ne veut pas voir. Il n’a pas pour objectif de blanchir ou disculper X ou Y, mais de montrer que les décisions de nos gouvernements sont trop souvent basées sur des informations très fragiles et très discutables. La crise du CoViD-19 n’échappe d’ailleurs pas au phénomène, même si elle ne fait pas l’objet du livre.

J’ai donc construit mon livre comme le fait un professionnel du renseignement et un lecteur averti pourra noter que le livre privilégie les sources officielles et de première main, en écartant toutes les informations provenant de sources liées à des extrêmes politiques ou complotistes.

Mon livre est en fait un plaidoyer pour un meilleur usage des services de renseignement, que les décideurs ignorent trop souvent pour prendre des décisions guidées par l’émotion. Car pour moi, déclarer qu’il n’y a aucun doute, alors qu’on ne connait pas l’état de la situation est non seulement intellectuellement malhonnête, mais aussi dangereusement excessif. Les présomptions qui deviennent certitudes engendrent des décisions qui nous conduisent souvent à agir au mépris du droit international, à pratiquer la torture, à frapper des populations civiles de manières disproportionnée, comme l’ont d’ailleurs dénoncé certains militaires français déployés en Syrie. En 2019, les Nations Unies ont observé qu’en Afghanistan les militaires internationaux tuaient plus de civils que ne le font les djihadistes ! On marche sur la tête !

Il est important de ne pas confondre nos sentiments, nos sympathies ou antipathies de citoyen avec les éléments de décision d’un gouvernement. Quoiqu’on pense d’un régime, l’émotion est rarement une solution. Si vraiment on voulait un changement de régime en Iran ou au Venezuela, il suffirait de lever toutes nos sanctions, car ce sont elles qui permettent à ces régimes d’entretenir une cohésion derrière eux. En Afghanistan, mon chauffeur (pachtoune), à la question de savoir ce qu’il pensait des Taliban, me répondait : « Nous n’aimons pas les Taliban, mais s’il faut choisir entre eux et les Occidentaux, nous les choisirons eux ! » Tout est dit.

Notre manière émotionnelle de traiter les crises ne résout rien. Mon expérience montre que dans les nombreux conflits dans lesquels j’ai été témoin, on aurait pu sauver des milliers de vies si on avait eu un doute avant d’agir.

Economie, Histoire, Politique, Religions, société, Voix

Terrorisme, complotisme, conspirationnisme, suite de l’entretien avec Jacques BAUD

-Jacques Baud, notre précédent entretien se terminait pas une remarque de votre part,  selon laquelle vos « détracteurs sont eux-mêmes des promoteurs de fausses informations et de conspirations » … Pourriez-vous nous en dire davantage à cet égard?

Jacques Baud: -Permettez-moi de vous répondre par un détour. Le point de départ de mon livre est le constat que notre lecture du terrorisme ne permet pas d’en venir à bout. En réalité, cette lecture est brouillée par toute une série de théories qui cherchent à offrir une image de la question, souvent à des fins politiques. On avance évidemment l’exemple du « 9/11 », dont les zones d’ombre ont permis à de nombreuses théories complotistes de fleurir. On combat – avec raison – celles qui impliquent un complot juif ou de la CIA, mais on accepte volontiers l’idée d’un « terrorisme mondialisé (…) où le djihadisme rongeant les bases de nos sociétés ouvertes et démocratiques, des assassins qui haïssent nos libertés et qui veut nous contraindre à changer notre manière de vivre et d’envisager l’avenir ».

Dans un « documentaire » intitulé « Complotisme, les alibis de la terreur », impliquant l’un des fondateurs de Conspiracy Watch et diffusé sur France 3 en 2017, Jacob Rogozinski va même plus loin en affirmant que les djihadistes cherchent à créer « un califat mondial, qui va s’emparer de Rome, qui va s’emparer de l’Europe, qui vaincra l’Amérique, qui établira un réseau mondial de vrais croyants, unis derrière un pouvoir souverain absolu ». Cette théorie, se base sur de nombreux écrits devenus très populaires en France ces dernières années, dont les plus fréquemment cités sont Eurabia de Bat Ye’or et   La Conquête de l’Occident  de Sylvain Besson, qui décrivent un projet des Frères Musulmans pour conquérir le monde chrétien, une idée reprise par le journaliste Mohammed Sifaoui dans son livre Taqiyya !

Or, que certains musulmans aient ou aient eu l’idée de conquérir le monde est très probable : on trouve exactement le phénomène symétrique en Occident. Mais en faire une doctrine relève purement et simplement du… complotisme. Le complotisme ou conspirationnisme est l’assemblage de faits (parfois vrais) et d’en occulter d’autres, afin de créer une cohérence artificielle au service d’un projet ou d’un objectif. C’est exactement ce que l’on fait avec la menace islamiste, que la forte présence musulmane en Europe alimente très opportunément.

Depuis des années, certains tentent d’associer des groupes palestiniens (comme le Hamas) au djihad global, afin de pouvoir lui appliquer la même intransigeance. Dans ce contexte, les Frères Musulmans sont devenus une cible commode : ils forment à peu près la seule structure islamique identifiable, que l’on pourrait associer à une action révolutionnaire. C’est pourquoi on lui attribue l’ambition de vouloir conquérir le monde.

Le problème est que cette idée de « conquête de l’Occident » alimente l’extrême-droite radicale et les conspirationnistes de tous bords. D’ailleurs, ironiquement, en 2014, Mattias Gardell, chercheur à l’Université d’Uppsala (Suède), publie un article dans la très sérieuse revue « Terrorism and Political Violence » où il constate qu’Anders Breivik (auteur du massacre d’Utoya en 2011), s’était inspiré « des travaux du théoricien du complot franco-suisse Sylvain Besson » (sic). Ennuyeux !…

En fait, cette apparente « conquête de l’Occident » ne résulte pas d’une machination islamique, mais de politiques d’immigration incohérentes, initiées dans les années 60-70 pour répondre à un besoin de main d’œuvre peu qualifiée. Mal gérée, souvent abandonnée, cette immigration s’est souvent réfugiée dans la petite criminalité et parfois dans le terrorisme.

Le terrorisme est une technique de combat qui cherche à atteindre un objectif stratégique par une action tactique. C’est un mode d’action – et non une doctrine – qui peut être utilisé aux fins les plus diverses (résistance à une occupation, mouvements révolutionnaires, libérations de prisonniers, etc.) Mais il y a toujours un objectif à atteindre, c’est pourquoi les terroristes revendiquent leur action : pour exposer cet objectif. Cela devrait nous servir pour comprendre ce qu’ils veulent et ajuster nos stratégies. Mais nous ne le faisons pas !

Le terrorisme djihadiste actuel est très simple : il s’agit de pousser les populations occidentales à exiger le retrait de leurs forces déployées au Proche- et Moyen-Orient. Je n’invente rien : l’Etat Islamique l’a expliqué à maintes reprises dans des vidéos et dans ses écrits doctrinaux, mais ces explications ne sont jamais présentées dans les médias. On préfère laisser croire l’idée d’un « califat mondial », même si c’est au prix de massacres comme à Christchurch ou à Utoya.

En fait, le modèle des djihadistes est l’attentat de Madrid en mars 2004, qui avait conduit au retrait des troupes espagnoles d’Irak. Mais cette stratégie ne peut avoir une chance de fonctionner que dans des pays où les gouvernements sont peu populaires ou dont les populations sont majoritairement opposées aux interventions, comme en Espagne en 2004, en Grande-Bretagne en 2005, en France en 2015-2017 et en Belgique en 2016. C’est pourquoi la France a été frappée en priorité, alors que son rôle en Irak et en Syrie est modeste (environ 6-9% des frappes de la Coalition).

Notre obsession à voir le terrorisme comme une tentative de détruire nos sociétés est absurde. Il en est ainsi des attentats de janvier 2015, dont le procès se déroule à Paris. On y voit une tentative de s’attaquer à nos libertés, etc. C’est un peu simple…

En 2006, en pleine crise des caricatures en Europe, des menaces d’attentats ont été diffusées dans la presse locale contre le personnel de la Mission des Nations Unies au Soudan (MINUS). J’étais alors chef du renseignement (JMAC) et j’ai été chargé par le Représentant Spécial du Secrétaire-général d’évaluer la menace sur la mission et ses personnels. Une réunion discrète a donc été arrangée avec des représentants de groupes islamistes soudanais – proches de la mouvance djihadiste. A mon arrivée, le « chef » des islamistes fait une remarque ironique sur les Chrétiens. Je lui dis alors : « Fais attention, parce que toi et moi avons le même Dieu ! ». Il me répond par un grand sourire et me dit : « C’est vrai assieds-toi et parlons ! ». La réunion s’est déroulée dans une grande sérénité et notre interlocuteur nous confie alors : « Nous savons que vos pays sont démocratiques, et nous ne contestons pas votre droit de publier ce que vous voulez ; mais lorsque vous voyez que cela nous blesse, pourquoi ne le reconnaissez-vous pas ? » À aucun moment il n’évoque la liberté d’expression et de la presse : toute la discussion tourne autour du respect et du vivre ensemble. À la question de savoir si la MINUS devait s’attendre à des actes de violence – qui était l’objet de la réunion – notre interlocuteur nous répond : « Nous avons parlé, il n’y aura pas de violence ! » Ils tiendront parole : aucune violence, ni verbale, ni physique ne sera exercée contre la MINUS en relation avec les caricatures…

Le problème est que la publication de ces caricatures par Charlie Hebdo en février 2006 est intervenue après que des incidents dans le monde avaient déjà fait environ 150 morts. C’est pourquoi Jacques Chirac l’avait qualifiée de provocation. Charlie Hebdo avait en tête le maintien de la liberté de la presse et le droit au blasphème, mais ce n’était pas vraiment le problème : les violences n’ont concerné pratiquement que le Danemark, qui avait refusé tout dialogue sur la question, mais pas la Norvège. Celle-ci a présenté des excuses officielles, non pour la publication elle-même – la liberté de la presse est même soulignée – mais pour l’offense qu’elle aurait pu constituer pour certains. En substance, c’est exactement ce que cet islamiste m’avait dit dans la banlieue de Khartoum.

Aveuglé par son idéologie, Charlie Hebdo n’a pu ou pas cherché à comprendre la vraie nature de l’enjeu. Comme toujours, nous parlons volontiers de société multiculturelle, mais nous refusons de comprendre les sensibilités des cultures auxquelles nous voulons nous associer. En février 2006, il ne s’agissait pas de renoncer à la liberté de presse ou d’expression, mais simplement d’expliquer et « d’emballer » cette publication… et non de jeter nos principes à la figure des musulmans.

En janvier 2015, les attentats n’avaient qu’un rapport indirect avec cette publication. En fait, pour répondre aux frappes françaises en Irak, les djihadistes n’ont pas voulu frapper de manière aveugle dans un lieu public ; au lieu de cela, ils ont « minutieusement choisi » (selon leurs termes) ceux qui – à leurs yeux – étaient les « plus coupables » : Charlie Hebdo et un magasin juif (à cause de la situation en Palestine). Tout cela n’est pas inventé : les djihadistes nous l’on expliqué en long en large et en travers dans leurs publications. Il suffit de lire pour comprendre. Le problème est que ces textes sont considérés comme de la propagande et, en France, leur simple détention pouvait être punie pénalement ! Il devient donc difficile de comprendre la logique terroriste. Avec un groupe de travail de l’OTAN en 2005-2006, nous avions fait une étude de la personnalité des terroristes et avons découvert que leur niveau d’intelligence moyen surpassait celui des forces de sécurité. Une étude qui a été confirmée récemment par les services britanniques. Donc imaginer que les terroristes pensent « détruire nos valeurs » et nos « libertés » avec quelques attentats est presque puéril.

La mesure la plus efficace pour lutter contre le terrorisme est de cesser d’aller bombarder des pays qui nous rien demandé…

Le terrorisme ne résulte donc ni d’un complot juif, ni de complots de la CIA, ni d’une volonté de conquête islamiste, ni d’obscurs projets des Frères Musulmans. Le terrorisme est tout simplement le résultat d’une asymétrie entre la détermination (des terroristes) et la sottise (des Occidentaux). Mon livre vise simplement à « démonter » des théories fallacieuses qui obscurcissent notre vision, limitent notre champ d’action à l’emploi de la force et nous empêchent de traiter efficacement la question du terrorisme. Je suis donc forcé de constater que ceux qui me dénigrent sont exactement les mêmes que ceux qui professent des théories très incertaines construites comme du… complotisme, dont le principal effet est de nous empêcher de comprendre le problème et de le résoudre…

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Liban, 2013-2020, histoire d’un drame

En pleine période virale, en pleine période de récession, Beyrouth s’enflamme. Les images de la ville dévastée nous ont toutes et tous choqué(e)s alors que la mort et la misère sont venues s’ajouter à celles déjà existantes.

Plusieurs médias relatent les faits dès le début, à savoir depuis le départ, en septembre 2013 du port géorgien de Batumi, d’un navire battant pavillon moldave, propriété d’un armateur russe vivant à Chypre, et avec à son bord un équipage pour majorité d’origine ukrainienne.

Ensuite, les versions divergent.

Le bateau devait se rendre avec sa cargaison de nitrate d’ammonium au Mozambique, ce que ce pays dément. Et puis, après avoir fait escale en Grèce, l’équipage du bateau aurait reçu ordre de la part de son propriétaire, de se rendre à Beyrouth pour y récupérer une cargaison supplémentaire.

Il s’agissait de rentabiliser le voyage, raison pour laquelle aurait dû être livré, depuis le Liban, du matériel de chantier à la Jordanie mais le bateau a été retenu au port de Beyrouth en novembre 2013.

C’est alors que la responsabilité de diverses instances libanaises sont en jeu qui se renvoient toutes la balle. Le fait est que seize personnes auraient été arrêtées dans le cadre de l’enquête ouverte après l’explosion qui a ravagé le port de Beyrouth et tant d’autres quartiers de la ville.

S’agissant de l’explosion, elle pourrait être due à des travaux de soudure effectués dans un hangar où des fissures à colmater avaient été signalées. Ce hangar abritait, pour sa part, des feux d’artifices et était voisin de celui où était stocké le nitrate d’ammonium.

Ces faits sont rapportés de la même manière dans plusieurs médias, à quelques petites nuances près. Puissent les interprétations qui leur seront données ne pas glisser vers autant d’accusations à l’emporte-pièce, c’est tout ce que l’on souhaite vu la complexité de l’affaire.

Pour ma part, je ne puis que dire combien je pense à toutes celles et ceux qui portent le Liban au plus profond de leur coeur tandis que le destin le frappe sans relâche depuis des dizaines et des dizaines d’années.