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Lettre

Il ne s’agit d’aucune plainte. Il s’agit d’un constat.

Autant le dire vu les remarques auxquelles j’ai déjà eu droit sur un réseau social tandis qu’on me rappelait le sort de victimes de guerre. Merci, je l’ignorais. A tel point que je n’ai cessé de rappeler celui de milliers d’adultes et d’enfants dont nos médias se sont habilement arrangés pour, au mieux, les qualifier de « Pro-Russes », sinon de « rebelles ».

Je veux donc parler des victimes de la guerre du Donbass, guerre qui a ensanglanté huit ans durant le coeur même de l’Europe.

Alors, à l’heure où la guerre sévit en Ukraine, plutôt que de me laisser rappeler ces huit ans de souffrance, on a choisi de se passer d’une prise de position qui a toujours eu comme priorité l’humanisme.

Et qu’est-ce que l’humanisme?

Le contraire de la politique. Le contraire de l’idéologie. Le contraire de l’aveuglement partisan. Merci, dans ce sens, de prendre connaissance de la lettre que j’adresse aujourd’hui à la Directrice de l’institution publique de laquelle il a été question dans un précédent sujet de ce blog.

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                                                                                                                                                                             Genève, le 11 mars 2022

Madame,

Après avoir été invitée et désinvitée à la soirée que la Maison Rousseau de la littérature que vous dirigez a agendée au 5 avril prochain autour de la guerre en Ukraine et dans le cadre d’un cycle d’interventions consacrées à « Rousseau et la nature », ici, en l’occurrence, Rousseau et la guerre, je tiens à vous faire part de ma très grande déception.

Lorsque j’ai été contactée pour participer à cet événement, j’ai été profondément touchée mais tout autant surprise, vu le peu de visibilité que j’ai dans ma propre ville, dans mon propre canton et dans mon propre pays. Mais peut-être que le fait d’avoir été reconnue en tant qu’écrivain, en Russie, m’a mise en marge du milieu culturel suisse, romand et genevois.

En tous les cas, lorsqu’un ancien élu de la Ville de Genève, commente sous le sujet de blog que j’ai partagé sur un réseau social bien connu et dans lequel j’ai fait part de la triste mésaventure qui est arrivée avec ma désinvitation à votre soirée, lorsque cet ancien élu commente, « Autant inviter Poutine », pour me faire comprendre, ensuite, que j’étais sa digne représentante, on mesure non seulement le haut niveau de réflexion de la personne en question mais surtout, son aveuglement qui rejoint celui de tant d’autres.

Car oui, hélas, il est loin d’être le premier ni le seul à m’avoir d’emblée assimilée au Président russe et au Kremlin. Et je suis loin d’être la seule dans ce cas quand on sait que même l’Académicien Andreï Makine a été qualifié de « Poutinien à l’Académie » par BiblioObs, on réalise à quel point l’idéologie doublée du manque total de retenue et de recul s’est emparée de ce qui nous est présenté comme « élite » de nos sociétés.

Lors de cette table ronde du 5 avril prochain à laquelle je me réjouissais tant de participer, j’aurais rappelé ce qui s’est passé dans le Donbass et qui a été entouré de huit ans de silence médiatique. J’aurais déploré le mélange de genres qui assimile toute personne amie de la Russie à une inféodée de son Président. J’aurais déploré la propagande occidentale déployée à l’encontre de la Russie.

Et je sais de quoi je parle puisque je me suis retrouvée figurer en bonne place dans l’ouvrage intitulé « Les réseaux du Kremlin en France » qu’a signé une Universitaire encore invitée récente du 20 heures de TF1. C’est dire la qualité des hôtes que l’on accueille tandis que cette femme a été reconnue coupable de diffamation à l’encontre de l’une des six parties civiles dont j’ai été, dans le cadre d’un procès qui s’est tenu en mars 2019 au Tribunal de Grande Instance de Paris et dont je jugement a été confirmé en appel l’an dernier.

Madame, il est désormais devenu à peu près sinon carrément impossible de parler de la Russie sans, immédiatement, être affilié à son Président ou au Kremlin. Il se trouve que l’essentiel de mon parcours littéraire s’est développé dans ce pays où mes six recueils de nouvelles ont été traduits en russe et publiés en édition bilingue. Il se trouve que mes livres ont rencontré un intérêt et un goût que l’Italie et la Géorgie ont, elles aussi partagés, tandis que la Suisse s’est arrêtée aux seuls deux premiers recueils de nouvelles.

Tout cela pour vous dire qu’en tant qu’écrivain, j’aurais été heureuse de participer à votre soirée. Mais pour me retirer du panel sélectionné, a été mentionné mon « rapport personnel à la Russie ». Je n’ai toujours pas compris le sens de cet argument. Pour votre information, j’ai mené des études de russe à l’Université de Genève, j’ai séjourné comme étudiante à Moscou et à Léningrad, donc du temps de l’ex-URSS et j’ai découvert la Fédération de Russie en 2004 par mon premier recueil de nouvelles traduit en russe, « Nouvelles de personne ».

Et puis, en 2012, sur le blog neuf ans durant hébergé par la Tribune de Genève, j’ai commencé à parler de la Russie. Le modérateur de l’époque m’y avait invitée dès 2010 et j’avais répondu que non, je n’étais pas en mesure de m’exprimer sur un pays que je ne connaissais pas encore assez. Ce sont donc mes nombreux séjours dus aux invitations qui m’ont été adressées en tant qu’écrivain et que le Département Fédéral des Affaires Etrangères (DFAE) a soutenues au plan financier, que j’ai affiné ma perception de la Fédération de Russie.

Vous avez décidé de vous passer de ma parole, libre à vous. Libre à moi aussi de vous faire part de ma grande amertume et de la partager sur mon blog où, dans un premier temps, j’ai caché le nom de votre institution. Mais comme, souvent, on a pensé qu’il s’agissait d’un média, je pense utile de préciser que non, il est question d’un lieu public, emblématique de la Ville et qui accueille des activités culturelles en lien avec Rousseau.

Croyez, Madame, à l’expression de mes sentiments amers,

Hélène Richard-Favre