Pour qui l’a vécu, Mai 68 et les années qui ont suivi restent dans les mémoires. Pour qui a connu ce temps de révolte, nul n’oublie comment s’y glissaient les courants libertaires.
Or les voici désormais contestés, les exemples ne manquent pas qui le démontrent.
Le dernier en date vise l’écrivain Gabriel Matzneff, plus personne n’y échappe vu le battage médiatique qui entoure la sortie du livre que Vanessa Springora a consacré à sa relation avec lui.
Pourquoi y revenir encore et encore? Parce que cette affaire interpelle à maints et divers égards, en témoigne cet article que je vous invite très vivement à lire.
Rester conscient, toutefois, qu’avec le temps, la perception d’une relation humaine se modifie, qui plus est après une psychanalyse, est essentiel.
Cependant, on nous parle de faits traités de manière « chirurgicale ». A signaler que ce terme apparaît souvent dans des critiques d’ouvrages dont le style est qualifié tel.
Que la jeune fille d’alors qu’était Vanessa Springora ait idéalisé l’écrivain Gabriel Matzneff, nul doute.
Que l’écrivain ait abusé des projections de l’adolescente, sans doute aussi.
Et que la mère de l’adolescente ait été prise entre le fer et l’enclume tandis qu’elle n’avait d’autre choix que de redouter le suicide de sa fille ou de la laisser convoler avec le quinquagénaire lettré, est tout aussi probable.
Le cadre ainsi posé, on mesure le piège dans lequel est alors tombé Vanessa Springora.
La femme qu’elle est devenue dit ne pas avoir voulu se venger ni accuser l’écrivain dans « Le Consentement ».. On la croit.
Il n’en demeure pas moins que d’autres se sont chargés de clouer l’écrivain octogénaire au pilori.
Où est leur victoire quand on sait que ce seul livre, « Le Consentement », ne risque pas de déranger les moeurs de tant de prédateurs sexuels en liberté?
C’est cette condamnation d’un homme dont je n’ai jamais apprécié ni le comportement ni l’oeuvre qui me gêne. Non, il n’est pas une victime!
Il est un sacrifice tout trouvé déposé sur l’autel de la véritable pédo-criminalité.
Pouvoirs
A l’heure où, dans nos contrées, le livre est loué pour sa puissance d’en faire disparaître d’autres, saluons cette initiative turque!
A Ankara, en effet, une bibliothèque d’un genre singulier s’est constituée peu à peu jusqu’à devenir désormais reconnue d’intérêt public.
Et l’origine de cette entrepris, c’est à des éboueurs qu’elle est due.
Comme le rapporte cet article, c’est à force de ramasser des livres dans les rues que ces employés de la voirie ont choisi de leur accorder une autre issue que celle vers laquelle ils devaient été dirigés.
Ainsi se sont-ils mis à récolter ces ouvrages condamnés à leur triste fin qu’ils ont rassemblés sur des rayonnages dont l’accès a d’abord été réservé à leurs proches.
Et c’est par l’ampleur qu’a peu à peu connue leur collection que les soutiens se sont manifestés et que, désormais, leur bibliothèque est devenue ouverte au public.
Dans un livre, chacune et chacun y trouve de quoi se projeter, de quoi s’identifier, de quoi rêver mais tout autant de quoi se révolter, de quoi être dégoûté.
L’humanité abrite en elle autant de grandeur que de bassesse, on l’a rappelé ici.
A cet égard, on ignore bien sûr, les critères selon lesquels les oeuvres que propose cette bibliothèque sont sélectionnés. Est-ce de première importance?
A chacune et à chacun y répondre selon son propre rapport au livre.
Et si l’on s’entendait sur ce qui est conçu comme création culturelle?
Car l’arbitraire agit partout. Et ce qui est estimé relever de l’art l’est souvent par qui a le pouvoir de le décréter et de l’imposer tel.
Et c’est alors que ce qui a pu être porté au pinacle un temps, est descendu en flèche dans un autre temps.
On est là au coeur des liens établis entre art, idéologie et politique. Ce qui doit être montré l’est, le reste, aux oubliettes pour autant que la censure ne s’en mêle.
Quand l’oeuvre rend de l’être humain, ce mélange de grâce et de brutalité, de bonté et de cruauté, de grandeur et de petitesse qui le constitue, oui, cela peut déplaire, déranger, heurter.
Mais qui, de celles et ceux qui se drapent de la vertu qu’accorde, par exemple leur fonction, ne recèle au fond d’elles et d’eux-mêmes, l’une des dimensions de l’être que dévoile l’oeuvre jetée au rebut?
S’en détourner n’est que mieux sauter un obstacle et condamner qui l’a placé sur un chemin qui ne doit mener que là où le panneau de la fausse morale l’indique.
Tous ces jours-ci, les médias ne ménagent pas leur peine pour relater autant d’affaires de pédo-criminalité qui visent divers milieux parmi lesquels ceux du clergé, de la médecine, du cinéma, de la littérature.
Autant de domaines où se déploie l’activité humaine et où dominent, le plus souvent, confiance et estime.
En seraient-ils dénués, tous ces milieux alors que tant de vocations s’y révèlent, tant de réels talents s’y exercent parce que, soudain, on y découvrirait quelques comportements répréhensibles?
Non. Et surtout pas.
Car y ramener les quelques personnes qui les salissent pour d’autant les rejeter, c’est comme le dit si bien l’expression « jeter le bébé avec l’eau du bain ».
Alors, de grâce, ne mélangeons pas tout!
« Je veux comprendre pourquoi je suis devenu comme ça. » Cette remarque émise par un chirurgien pervers parmi les pervers a été relayée par son avocat.
Le problème, bien sûr, reste de savoir si, au-delà des réponses qui seraient fournies à la question qu’il (se) pose, son mal s’en verrait modifié. Or rien ne l’assure.
Car sauf à ce qu’une démarche intellectuelle ne contribue à mettre en place des garde-fous, ce qui n’est jamais garanti, elle ne satisfait le plus souvent qu’elle seule.
Et c’est la plupart du temps ainsi, qu’au détriment de l’ensemble des compétences et des talents qui signent une personnalité, son mal l’emporte.
Quand, dans une quarantaine ou une cinquantaine d’années, à la faveur d’un nouveau mouvement, #youtoo, par exemple, quand à sa suite donc, des êtres s’élèveront et vous pointeront du doigt, vous?
Vous qui avez encouragé la parentalité à n’importe quel prix? Vous qui aurez accepté que des ventres soient payés pour enfanter, vous qui aurez toléré ainsi l’achat d’enfants, comment réagirez-vous?
Quand les générations prochaines mettront vos agissements en cause, que leur expliquerez-vous?
Quand parents 1 et 2 seront à la barre pour tenter de justifier l’amour qu’ils ont voué à leur créature payée au prix fort?
Quand les mères porteuses, par exemple, diront comment elles ont vécu autant d’amour porté à l’enfant qui n’aura jamais été le leur?
Quand vos agissements, cautionnés au nom du « droit À l’enfant » seront reconsidérés? Et qu’ils seront évalués au nom du droit DE l’enfant?
Parce que, pour autant d’enfants achetés, on ne leur aura même pas demandé leur consentement.
On les aura conçus avec des femmes le plus souvent engluées dans la misère et prêtes à tout pour y survivre. On leur aura demandé leur accord pour quelques deniers et, à la clé, un enfant à porter.
Et on se sera réjoui de l’aimer, du reste, pourquoi s’en soucier?
Les années prochaines le diront, si jamais tout abus avait été commis. Et on souhaite vivement que tel ne soit pas le cas. Cependant, rien ne l’assure.
Et le jour viendra peut-être ou une mère, un enfant porté par elle et élevé par des parents 1 et 2 s’empareront de la langue pour dire ou écrire comment ils auront vécu ce commerce.
Dans une tribune publiée par Le Monde, l’Académicien français Dominique Fernandez soulève d’importants aspects en lien avec l’affaire qui vise Gabriel Matzneff.
D’emblée il le précise ce n’est pas la défense de la pédophilie qu’il prend. Pédophilie « moralement condamnable, légalement punissable » et dont les « abus criminels » ne peuvent en rien se justifier.
Non, c’est la défense d’un homme désormais « traîné dans la boue » tandis qu’il y a peu encore, il était loué, « pour les mêmes livres qui le font mettre actuellement au pilori. »
Et de rappeler comment, « depuis plus de quarante ans, tout le monde était au courant de ses mœurs, dont il ne se cachait pas, puisqu’il en faisait lui-même l’étalage ; et voici que, tout d’un coup, avec une unanimité hypocrite, s’élèvent des clameurs d’indignation. »
Quant à Marie Darrieussecq, qui se réjouissait, dans le JDD, que cette affaire mette « un terme à la domination masculine sur les femmes. », il signale combien de propos est « déplacé, car ladite domination s’exerce aussi bien sur des garçons que sur des fillettes. C’est la domination de l’adulte sur l’enfant qui est en cause, et la fameuse question du consentement. »
Vient ensuite le constat selon lequel les « premiers défenseurs de Matzneff se rétractent, ses amis le lâchent un à un. Tous s’achètent une bonne conscience en attaquant un homme à terre. Ceux qui l’avaient encensé en parfaite connaissance de sa vie privée se drapent maintenant dans une vertu opportuniste. (…)Son principal éditeur, Antoine Gallimard, vient de donner le coup de grâce, en annonçant qu’il retire son journal de la vente, ce qui signifie pour un auteur la mort professionnelle, le renvoi dans le néant. (…)
Il en vient alors à rappeler « André Gide, qui allait en Algérie à la chasse des « petits Arabes ». Qu’on lui retire son prix Nobel ! A propos de Gide, l’Etat n’était pas si prude, il y a encore trois ans, puisque le ministre de l’éducation nationale mettait au programme des terminales littéraires Les Faux-Monnayeurs, roman ouvertement pédérastique. Ce ministre va-t-il offrir sa démission, pour une aussi grave atteinte à la moralité de jeunes adolescents ? »
Puis comment « Pasolini fut renvoyé de l’école où il enseignait en Italie, dans le Frioul, et obligé de s’enfuir à Rome parce qu’il avait entraîné des collégiens derrière des buissons. Va-t-on interdire ses livres et ses films ? Le Caravage a peint dans une pose impudique son amant tout nu de 12 ans : le musée de Berlin, pour contenter les familles, va-t-il mettre au rebut L’Amour victorieux admiré par des millions de visiteurs ? Que la curée n’épargne aucun chef-d’œuvre ! »
Et si jamais, pour qui l’aurait oublié, ce n’est qu’en 1945 que le seuil de la majorité sexuelle a été fixé, en France, à 15 ans. Jusque là, il l’avait été à 13 ans et avant cela, par une loi de 1832, à 11 ans. De quoi réfléchir au regard porté sur l’enfant…
Quand j’estimais que l’époque portait, à tous les sens du terme… L’époque et le milieu tout autant!
Quand j’évoquais un règlement de compte, justement au sein de ce milieu littéraire et éditorial parisien sinon germano-pratin!
Quand je soulignais combien de victimes de pratiques pédo-criminelles n’avaient que le silence comme réponse à leur maux!
Avant Vanessa Springora dont le livre atteint des records de vente en France, un autre texte jamais édité mais qui portait sur le même mal avait été écrit.
Et ce texte jamais édité a été, lui aussi, soumis à Grasset.
Accepté par une des ses collaboratrices, il a été refusé par son patron et par ses cadres dirigeants de l’époque.
Or il se trouve que l’auteure de l’ouvrage jamais édité ne s’est jamais remise non plus. Qui va s’en soucier? La justice? Vanessa Springora? Grasset désormais ou une autre maison d’édition?
La vie comme elle va, avec ses unes médiatiques, ses unes littéraires et ses tristes silences.
Suite aux riches échanges que mon précédent sujet de blog a générés sur un réseau social bien connu, plusieurs constats s’imposent.
Tout d’abord, le flou qui entoure le terme de culture, flou souvent relevé dans différents sujets de ce blog consacrés à ce terme un peu devenu fourre-tout de ce fait.
Et je ne suis pas la seule à l’avoir relevé. Je vous invite à lire cet article que Wikipedia consacre au terme de culture, vous prendrez la mesure et du flou et des nombreuses acceptions du terme.
Et puis et sans doute en lien avec ce premier constat, celui de l’aura qui entoure « la culture ».
Ensuite, l’identification des personnes qui entretiennent un rapport quelconque à « la culture » avec ce que ce terme véhicule de représentations et de valeurs.
Mais, faut-il le préciser, toutes ne sont pas forcément positives.
Car le comportement d’autant de ce monde de près ou de loin lié à « la culture » apparaît aux yeux qui l’observent, souvent auto-doté d’une sorte d’immunité voire même, d’impunité.
Les récentes affaires qui ont touché le cinéma et la littérature en témoignent.
Or c’est précisément ce qui dérange, gêne, voire choque. Que, soudain, des univers le plus souvent idéalisés, soient entachés par le comportement de tel ou tel réalisateur, de tel ou tel écrivain.
Car s’il est admis d’un écrivain, d’un compositeur, d’un réalisateur, d’un sculpteur etc, qu’il jouit d’un talent créatif indéniable, que par ailleurs sa « culture » est vaste, il n’en demeure pas moins ce qu’il est.
Si j’ai cité Sartre dans ce précédent sujet qui, justement, a suscité autant de réactions intéressantes, c’est parce que lorsqu’il considère que la culture « ne sauve rien ni personne », il ajoute encore, toujours dans Les Mots, que « l’on se défait d’une névrose, on ne guérit pas de soi ».
Aussi et quel que soit le rapport que l’on entretient à « la culture », reste-t-on ce qu’on est. Et « ce qu’on est », varie. Il arrive que « ce qu’on est » ne soit pas forcément reluisant.
C’est précisément ce qui a été porté au grand jour dans certains cas qui ont défrayé l’actualité.
A savoir, comment des personnes entourées de considération ont abusé de leur pouvoir et, par leurs agissements, perverti l’aura qui profite (encore) à ce milieu qu’est celui de « la culture ».
On entend souvent prôner le développement de la « culture » par l’allocation de fonds destinés à la soutenir.
Définit-on le terme de « culture », rien n’est moins sûr.
Mais on sous-entend sans doute qu’il est inutile de rappeler ce que signifie « culture ». Pourtant, chacune et chacun en aura sa version qui ne sera pas celle de toutes et tous.
Quoi qu’il en soit, on pense, en général, que de s’adonner à la lecture, à la peinture, à la sculpture, la danse, la musique et j’en passe, sera toujours préférable que d’errer ou de sombrer nulle part.
Parce que développer un art à quelque niveau que ce soit, est le plus souvent considéré comme une pratique louable, voire noble.
De là vient le prestige, l’aura même qui entoure les personnes qui ont réussi à s’imposer dans un domaine quelconque de la « culture ».
On le sait, pourtant, et Jean-Paul Sartre l’a écrit, « la culture ne sauve rien ni personne ». Je l’avais rappelé ici-même, il y a un peu plus d’un an.
Et non seulement la culture ne « sauve rien ni personne » mais, poursuit le philosophe, « elle ne justifie pas. Mais c’est un produit de l’homme: il s’y projette, s’y reconnaît; seul, ce miroir critique lui offre son image. ».
Cette citation extraite de son livre Les Mots, paru en 1964, résonne d’autant mieux quand on sait comment Jean-Paul Sartre et d’autres personnalités du monde des Lettres entre autre, ont soutenu Gabriel Matzneff.
L’écrivain ne s’est jamais caché de ses pratiques perverses dont il fait étalage avec un narcissisme accompli.
Or dans le même temps, il a été reconnu pour sa « culture » . Et c’est dans ce sens que la conception que Sartre en donne prend tout son sens.
En ceci qu’elle renvoie une image qui n’a gêné aucune et aucun de celles et ceux qui ont apprécié l’écrivain désormais mis au ban de la société.
Qu’en est-il, aujourd’hui, de ce « miroir » que serait la « culture »?
Serait-il celui qui avait renvoyé des images qui, en leur temps pas si lointain, avait défrayé la chronique et desquelles on ne parle plus trop?
Images qui montraient comment la fête de la musique était célébrée à l’Elysée?
On entendait des mots peu flatteurs pour les femmes. Qu’en a-t-on dit? qu’ils relevaient de l’art?
De la pédo-criminalité qu’entoure un large silence, un autre « consentement » parce que largement pratiquée sans que les responsables de réseaux qui la favorisent ne paraissent inquiétés, s’en souciera-t-on enfin?
Parce que c’est facile de s’en prendre à un écrivain dont, je ne le répéterai jamais assez, je n’ai jamais lu aucun livre. Dont je ne cautionne en rien les pratiques sexuelles mais au sujet duquel je constate qu’il semble tenir lieu de proie idéale.
Car une hypocrisie manifeste entoure cette mise au pilori d’un homme autrefois encensé.
Condamné avant l’heure, si condamnation par la justice il doit y avoir, il se voit lâché par nombre de celles et de ceux qui ne cachaient pas leur soutien voire leur admiration du temps où il était convié à s’exprimer par tant de médias.
Je vous invite à découvrir cette séquence publiée par « Le Parisien ».
On s’interroge, on se dit que, vraiment, cette jeune fille qu’était Vanessa Springora à l’époque des faits qu’elle relate dans son livre était bien seule.
Que la racine de ses problèmes est à trouver dans le contexte parental et social. Que c’est, à l’évidence, ce qui a permis à son prédateur d’agir.
La jeune fille était en quête d’affection, en quête d’amour, en quête d’idéal. Elle a cru le trouver en G.M.
Combien d’enfants, plus jeunes encore que l’auteure de ce livre restent victimes de criminels en liberté et, pour nombre d’entre eux, en col blanc?
A quand un ouvrage qui les livrera, eux aussi, à la justice?
Rêvons un peu, après tout, si cet ouvrage de Vanessa Springora pouvait contribuer à une prise de conscience générale et pas qu’en seul lien avec le milieu littéraire germano-pratin, ce serait tout cela de bon!