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LA GUERRE D’INFLUENCE ET LA FAUSSE BANNIÈRE, SUITE DES ENTRETIENS AVEC JACQUES BAUD

-Jacques Baud, dans nos précédents entretiens sur la guerre dinfluence, vous aviez proposé de laborder de manière méthodique en nous arrêtant sur ses différents aspects que sont linfluence, les mesures actives, la propagande et la censure, la désinformation, la fausse bannière et la mésinformation. Il nous reste à aborder avec vous la fausse bannière et la mésinformation. Pour rappel à qui le souhaiterait, lensemble de nos entretiens est accessible en cliquant sur ce lien.

Jacques BAUD: –L’action dite « sous fausse bannière » est une forme de désinformation qui a pour but d’attribuer faussement une action à un acteur particulier. L’expression a son origine dans la pratique des pirates d’utiliser de faux pavillons pour s’approcher de leur proie. C’est comme ça que les Japonais ont justifié leur attaque contre la Chine, après l’attentat de Mukden en 1937. Aujourd’hui, cette pratique est utilisée pour dévier des accusations vers un tiers. Il est important de noter que de telles opérations ont toujours un objectif concret, comme nous le verrons. 

Au début des années 1950, les États-Unis sont tentés de soutenir les régimes nationalistes et panarabes en Egypte et en Syrie, tandis que la Grande-Bretagne cherche à se désengager du Proche-Orient. De son côté, Israël sent sa sécurité menacée et cherche à prévenir la constitution d’une coalition arabe. En 1954, l’Etat hébreux lance donc une opération sous fausse bannière : l’Opération SUSANNAH, conçue et exécutée par l’AMAN, le service de renseignement militaire israélien. Il s’agissait de mener des attentats terroristes contre des cibles anglaises, américaines et égyptiennes, puis de les attribuer aux Frères Musulmans afin de provoquer une intervention anglo-américaine. Mise à jour par la sécurité égyptienne, l’opération se solde par un fiasco retentissant, poussant Pinhas Lavon, ministre de la Défense israélien à la démission. Elle devient l’« Affaire Lavon » et provoque une vague mondiale d’indignation. Elle se traduit par l’expulsion des juifs d’Egypte et de plusieurs autres pays arabes, malgré que les communautés juives et arabes y avaient jusqu’alors cohabité en bonne intelligence. On attribuera ces expulsions à l’antisémitisme, mais en réalité, ces pays craignent d’être victimes des mêmes provocations. Cet épisode inspirera le livre Eurabia, de Bat Ye’or, dont la famille est alors expulsée d’Egypte. Le livre inspire à son tour l’idée d’un complot islamiste – propagée par Conspiracy Watch (un comble !) – visant à établir un « califat mondial », qui nourrit les fantasmes de l’extrême-droite en Europe, et l’ouvrage de Sylvain Besson, du journal Le Temps, que nous avons déjà évoqué. Nous y reviendrons en parlant du terrorisme.

-Sylvain Besson, donc ce journaliste du quotidien suisse autrefois dit « de référence » qui a commenté la parution de votre livre de telle manière quil aura favorisé la série dentretiens que nous avons dont le deuxième, justement, évoque cet ouvrage Eurabia. Mais poursuivons avec la fausse bannière et son recours dans divers cas que vous allez évoquer …

Jacques BAUD: -Un autre exemple d’événement « sous fausse bannière » a été le massacre de la population civile de Benghazi par l’armée libyenne en mars 2011. Les médias occidentaux relaient les déclarations de Moustafa Abdul Jalil, alors dirigeant de la révolution libyenne et chef du Conseil national de transition (CNT), selon lesquelles Kadhafi s’apprêterait à tuer plus d’un demi-million de Libyens. Le 27 mars 2011, sur les ondes d’ABC News, Hillary Clinton, alors Secrétaire d’Etat, évoque des dizaines de milliers de morts. Mais en 2014, Moustafa Abdul Jalil, avouera que le massacre de Benghazi n’a jamais été ordonné par Kadhafi, mais a été mis en scène par les islamistes, en intelligence avec ceux qui prônaient l’intervention occidentale. Ce soi-disant « massacre de Benghazi », rapporté par Bernard-Henri Lévy sera, de son propre aveu, déterminant pour l’intervention internationale et de la France. D’ailleurs, il avouera s’y être engagé « en tant que juif » et avoir « porté en étendard ma fidélité à mon nom et ma fidélité au sionisme et à Israël », s’abritant ainsi derrière le drapeau français. On est dans la « fausses bannière » au sens littéral du terme. Par ailleurs, on notera au passage, que la laïcité républicaine – qui veut que la politique soit séparée de la religion – ne semble devoir s’appliquer qu’aux musulmans…

En août 2013, la tentation est forte pour l’opposition syrienne d’utiliser ce même stratagème pour tenter de provoquer une intervention occidentale contre le gouvernement syrien avec l’attaque chimique de la Ghouta. Un an plus tôt, le 20 août 2012, le président Obama avait évoqué une « ligne rouge » concernant l’usage d’armes chimiques en Syrie. Mais, contrairement à ce qu’a rapporté la presse internationale, il ne s’adressait pas uniquement à Bachar al-Assad, mais aussi à « d’autres acteurs sur le terrain », car les services américains savent alors que les rebelles disposent d’une capacité chimique. En août 2013, comme le rapporte Obama lui-même dans une interview du média « The Atlantic », les services de renseignement américains flairent une action « sous fausse bannière » et conseillent au président Obama, qui « en était venu à croire qu’il allait dans un piège, tendu à la fois par les alliés et par les adversaires » de ne pas intervenir. Tous nos médias – y compris ceux qui se donnent pour mission de se baser sur les faits comme Conspiracy Watch – propagent de manière peu honnête une information tronquée, par l’entremise de journalistes menteurs comme Antoine Hasday, qui nie même cette explication, confirmée par Obama lui-même !

Les attaques (ou tentatives) contre des pétroliers dans le Golfe ou des installations pétrolières saoudiennes sont attribuées à l’Iran. Mais quel serait l’intérêt de l’Iran ? Déclencher une riposte américaine contre lui ? En fait, personne ne sait qui sont les auteurs de ces attentats. Curieusement, l’idée de telles actions « sous fausse bannière » contre des pétroliers dans le Golfe a été décrite par un think-tank américain en 2009 déjà, avec pour objectif de provoquer une réaction militaire contre l’Iran. 

Comme pour le récent assassinat de Mohsen Fakhrizadeh, on évoque la responsabilité d’Israël, par l’entremise du Modjahedin-e-Khalq (MeK). 

Le MeK (ou Moudjahidines du Peuple Iranien) est un mouvement d’opposition iranien de tendance marxiste. Malgré ses nombreux crimes contre les droits de l’Homme, ses attentats et assassinats, le MeK n’a jamais été considéré comme terroriste en  France. Il a participé au renversement du Shah en 1979 avec les islamistes, et a servi de prétexte pour accuser Saddam Hussein de soutenir le terrorisme international. Il figure sur la liste des mouvements terroristes du Département d’Etat américain dès 1997, mais après la Guerre du Golfe, la volonté croissante des États-Unis de renverser le régime iranien, pousse le MeK à « se vendre ». En 2002, le MeK accuse l’Iran de développer l’arme nucléaire et publie des documents fabriqués par le Mossad israélien ! Des combattants du MeK sont alors formés en Irak par le Joint Special Operations Command (JSOC) américain pour mener des attentats et des assassinats en Iran. Depuis 2005, Israël les l’utilise pour mener des attentats en Iran, notamment pour assassiner des ingénieurs nucléaires entre 2007 et 2010. L’emploi du MeK par Israël pour mener ses basses œuvres contre l’Iran a suscité la réprobation aux États-Unis, mais a connu un regain d’intérêt avec l’administration Trump, sans susciter de réactions dans les médias et les journalistes qui soutiennent le terrorisme (et qui devraient en répondre pénalement…) En 2012, le MeK est retiré de la liste américaine des mouvements terroristes après une intense campagne de lobbyisme. 

Depuis le début des années 50, une constante de la politique étrangère d’Israël est de pousser l’Occident à s’impliquer militairement dans la région, et même s’il n’utilise pas toujours la « fausse bannière » pour y parvenir, tout concourt à cet objectif. 

Par exemple, en octobre 1983, comme le révèle Victor Ostrovsky, ex-agent du Mossad, dans son ouvrage By Way of Deception, Israël savait qu’un attentat était en préparation contre le contingent américain à Beyrouth, mais n’a délibérément pas averti son allié, afin de le pousser à s’engager dans le conflit. 

Dans le même esprit, Israël pousse les États-Unis à mener des actions à l’effet douteux. Ainsi, en janvier 2020, c’est sur des renseignements israéliens, que les États-Unis ont éliminé Qassem Soleimani. La presse occidentale emboite le pas de Donald Trump, comme Swissinfo et Le Temps, qui affirment qu’il préparait « des attaques imminentes ». Le Courrier International titre même « Bon Débarras »,… comme la publication « Al-Naba » de l’Etat Islamique ! 

En réalité, le général iranien était alors en mission diplomatique de paix afin de réduire les tensions avec l’Arabie Saoudite ; c’est pourquoi il voyageait officiellement… 

On voit donc que nos médias ont une relation « à géométrie variable » avec l’Etat de Droit. Pour comprendre cette dynamique contre-intuitive, il faut savoir que, contrairement à ce qu’ils tentent de faire croire, les intérêts israéliens et occidentaux au Proche-Orient ne coïncident pas. Pour simplifier à l’extrême : les réfugiés Palestiniens des années 60-70 en Syrie combattent aux côtés de l’armée syrienne et l’Etat Islamique combat le Hamas palestinien (qu’Israël a financé pour combattre le Fatah « sous fausse bannière »)… C’est pourquoi, même s’il est faux de dire que les Occidentaux (Américains, Israéliens, Turcs, etc.) ont créé l’Etat Islamique, ils l’ont laissé se développer jusqu’à pousser la Russie à s’engager, comme le confesse John Kerry lui-même. Ensuite, les médias se déchaineront contre « l’expansionnisme » de Vladimir Poutine : c’est de la désinformation pure et simple !  Mais nous pourrons y revenir plus en détail en traitant du terrorisme, que nos médias ont tout fait pour attiser…

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