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Washington, le Capitole au coeur de complotismes? Décryptage avec Jacques Baud

-Jacques Baud, dans le cadre de nos entretiens sur le complot,  le complotisme et le conspirationnisme, quelles réflexions vous inspirent les événements récents de Washington ?

Jacques BAUD: -Le mandat de Trump s’achève : quatre ans d’un « règne » guidé par l’opportunisme, le mensonge et la sottise. Durant ces quatre ans, aux États-Unis et en Europe, les dirigeants et nos médias ont craché sur l’héritage des « Lumières » en encourageant un « despotisme peu éclairé », qui trouve toute sa « consécration » dans le désastre de la gestion de la crise de la CoViD.

Les images du 6 janvier à Washington ont provoqué – à juste titre – l’indignation générale. Mais en fait, les partisans « pro-Trump », n’ont fait que répéter la mécanique bien rodée de l’administration Trump : on conteste les résultats d’élections, afin de provoquer des manifestations et des violences. 

Ça ne vous rappelle rien ? A Hong Kong, lorsque les manifestants « pacifiques » financés par l’administration Trump, ont vandalisé le Parlement de Hong Kong en juin 2019, aucun média ou politicien occidental s’est ému. 

Lorsque Trump affirme qu’il y a eu fraude lors de la présidentielle et qu’il a gagné l’élection, on répond – avec raison – qu’il ment. Mais, lorsque l’opposante biélorusse Svetlana Tikhanovskaïa affirme avoir gagné les élections en août 2020, on la croit sans discuter et sans aucun élément de preuve. Pourtant, le résultat de l’élection est cohérent avec les scrutins précédents. Et même s’il est possible qu’il y ait eu des fraudes au niveau local, elles n’ont jamais été démontrées. Durant 29 ans, les élections au Belarus ont été systématiquement observées par les experts de l’OSCE ; or, en août 2020, l’OSCE n’a pas envoyé d’observateurs, malgré la demande du Belarus (on a évoqué le « retard » de l’invitation du Belarus à l’OSCE, mais c’est faux, car non seulement le Belarus avait annoncé plus de 6 mois à l’avance des élections et envoyé une invitation formelle, cette dernière n’est pas nécessaire). Donc on ne vérifie pas, on affirme qu’il y a eu fraude et cela suffit à déclencher un processus de violence.

Au Venezuela, l’administration Trump fait encore mieux : l’opposition ne participe pas aux élections pour affirmer ensuite qu’elles ont été truquées. En 2018, Juan Guaidó, le Navalny vénézuélien, financé par les États-Unis, était pratiquement inconnu avant que Trump et son administration ne le sortent de son anonymat. Car, comme je l’ai expliqué dans mon ouvrage « Gouverner par les Fake News », il n’a jamais été élu et s’est retrouvé à la tête de l’assemblée parlementaire simplement par le jeu des présidences tournantes et des vacances à la tête de son parti…  Comme au Belarus, l’invitation adressée au début septembre par Nicola Maduro à l’Union Européenne pour observer les élections de décembre a été déclinée par l’UE : plus facile ainsi de déclarer l’élection illégitime…

Quant au cas Navalny, nous en avons déjà parlé…

-En effet et je renvoie nos lectrices et nos lecteurs aux sujets de ce blog indiqués ici et, en lien.

Jacques BAUD: -Donc les événements de Washington ne sont que la continuation de pratiques (des mêmes personnes) que nous avons très largement acceptées – voire encouragées – dans d’autres pays…

Pour mettre en évidence l’hypocrisie de médias et de journalistes corrompus et à l’éthique professionnelle douteuse, rappelons ici que durant ses quatre ans de présidence, on a prétendu que Trump était sous l’influence de Poutine, qu’il y avait entre eux une connivence, que « Poutine adore Trump », que Poutine aurait cherché à le faire réélire, car il y aurait une « alchimie positive » entre eux, au point que Trump préfèrerait Poutine à ses partenaires de l’OTAN. 

Pour mettre un peu d’objectivité dans ces élucubrations examinons cette « amitié » que Trump a vouée à Poutine ces dernières années, et comment il l’a remercié d’avoir « facilité » son élection en 2016 :

Des soldats américains déployés dans plusieurs pays d’Europe (02.2017)

Les premiers chars américains débarquent en Europe pour se déployer à l’est (01.2017)

Trump tire 59 missiles de croisières contre la Syrie (04.2017)

Trump refuse à ExxonMobil la levée des sanctions contre la Russie (04.2017)

Pour Poutine, l’arrivée de Trump a dégradé les relations russo-américaines (04.2017)

Trump encourage la vente de gaz naturel auprès des clients de la Russie (07.2017)

Donald Trump promulgue les nouvelles sanctions contre la Russie (08.2017)

Trump inscrit RT comme “agent étranger” (09.2017)

US ‘to restrict Russian military flights over America’ (09.2017)

Washington interdit aux agences fédérales l’antivirus Kaspersky (12.2017)

Kaspersky : le président Donald Trump promulgue une loi interdisant l’utilisation des produits de l’éditeur au sein du gouvernement (12.2017)

Trump autorise la vente d’armes létales à l’Ukraine (12.2017)

Russie: nouvelles sanctions américaines, le dirigeant tchétchène visé (12.2017)

Washington accuse la Russie d’aider la Corée du Nord (01.2018)

Pour les États-Unis, la Chine et la Russie sont de plus grandes menaces que le terrorisme (02.2018)

Syrie : des combattants russes tués par des frappes américaines ? (03.2018)

Trump ordonne la fermeture du consulat de Russie à Seattle (03.2018)

Affaire Skripal: Trump ordonne l’expulsion de 60 Russes (03.2018)

Pour faire face à la Russie, les Etats-Unis déploient leur armée en Europe de l’est (04.2018)

Trump critique l’Allemagne pour le projet Nord Stream 2 (04.2018)

Washington sanctionne des « oligarques » proches de Poutine (04.2018)

Trump lance des frappes ciblées en Syrie avec la France et le Royaume-Uni (04.2018)

Tensions entre les États-Unis et la Russie autour de la Syrie : vers un retour de la Guerre froide ? (04.2018)

Aluminium. Le géant russe Rusal, sanctionné par Washington, dévisse à la Bourse (04.2018)

Iran : la Russie « profondément déçue » par la décision de Trump (05.2018)

Trump demande à ses alliés d’accroître leurs dépenses militaires à… 4% du PIB (07.2018)

Otan: Trump affirme à Macron qu’il n’y a « pas de rupture » avec l’Europe (07.2018)

Affaire Skripal. Washington annonce de nouvelles sanctions contre Moscou (08.2018)

Etats-Unis : signature d’un budget record pour le Pentagone (08.2018)

Donald Trump prêt à lancer son armée de l’espace (08.2018)

Les États-Unis sanctionnent la Chine pour ses achats d’avions Su-35 et de systèmes S-400 auprès de la Russie (09.2018)

L’Inde acquiert des systèmes antiaériens russes, malgré les avertissements de Washington (10.2018)

Trump se retire d’un traité nucléaire avec la Russie (10.2018)

Donald Trump va infliger de nouvelles sanctions à la Russie (11.2018)

Tensions entre la Russie et l’Ukraine : Trump annule une rencontre avec Poutine (11.2018)

Ingérence électorale: sanctions américaines contre des agents russes (12.2018)

Affaire Skripal : les Etats-Unis imposent de nouvelles sanctions financières à la Russie (08.2019)

Les États-Unis sortent officiellement du traité de désarmement sur les armes nucléaires FNI (08.2019)

Les États-Unis vont déployer 1000 soldats en Pologne, selon Trump (06.2019)

Donald Trump approuve les sanctions américaines à l’égard des entreprises collaborant au gazoduc Nord Stream 2 (01.2020)

Les États-Unis sanctionnent Rosneft Trading S.A. pour sécuriser les ressources naturelles du Venezuela (02.2020)

Trump annonce le retrait du traité Ciel ouvert, accusant Moscou de le violer (05.2020)

Trump confirme pour la première fois une cyberattaque américaine contre la Russie (07.2020)

Traité New Start : Washington rejette l’offre «inacceptable» de Poutine (10.2020)

Les États-Unis se retirent officiellement du traité « Ciel ouvert » (11.2020)

La Russie accuse un navire américain d’avoir violé ses eaux territoriales (11.2020)

Les États-Unis sanctionnent la Turquie pour l’achat de missiles russes S-400 (12.2020)

Pompeo accuse la Russie de « semer le chaos » autour du bassin méditerranéen (12.2020)

Les Etats-Unis vont fermer leurs consulats en Russie (12.2020)

Les Etats-Unis accentuent les sanctions contre le gazoduc Nord Stream 2 (01.2021)

Si vous vous demandez pourquoi nos medias n’inspirent aucune confiance, que prolifèrent les théories du complot, que le public ne montre plus d’intérêt pour s’impliquer dans nos démocraties, vous avez la réponse. Les médias, autrefois surnommés « 4e pouvoir », n’en sont devenus que le prolongement négatif, en soutenant des gouvernements qui financent les opposants dans d’autres pays, qui ne respectent pas le droit international, qui mentent sur leurs propres actions pour échapper au verdict des urnes, etc…

A méditer

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Nouveaux entretiens avec Jacques BAUD sur complotisme et complots

Jacques Baud, nous avons largement évoqué le complotisme mais pourtant, des complots existent. Comment distinguez-vous le complotisme de l’identification de complots réels?

Jacques BAUD:– Comme nous l’avons vu, le conspirationnisme consiste à voir – pour un événement particulier – l’enchaînement de faits comme un phénomène construit et volontaire afin de poursuivre un objectif déterminé (souvent peu avouable). Par exemple, le fait d’affirmer que le gouvernement russe a tenté d’empoisonner Navalny (ou Skripal) est typiquement conspirationniste: on sait que Navalny est un opposant, on sait qu’il a été empoisonné, on a retrouvé des traces de « Novitchok » et on sait que la Russie est l’un des pays où le Novitchok a été synthétisé; mais le fait d’établir un lien univoque entre ces éléments pour affirmer qu’il s’agit d’une opération du gouvernement russe relève de la construction intellectuelle. D’ailleurs, le communiqué du gouvernement allemand n’accuse pas la Russie et se borne à demander des explications.

Ces liens artificiels ne peuvent souvent être élaborés qu’en excluant d’autres possibilités (par exemple, la possibilité que Navalny ait été empoisonné par l’une des nombreuses personnes corrompues contre lesquelles il lutte et qui sont liées à la mafia). L’exclusion de ces autres possibilités relève le plus souvent du négationnisme. Par exemple:

Ce ne sont que deux exemples de leurs jugements basés sur des éléments tronqués et qu’Hannah Arendt appelait « défactualisation », qui illustrent une caractéristique centrale du complotisme : attribuer une cause unique à des faits avérés.

Le complotisme est moins lié à ce que l’on pense, qu’à la manière dont on construit sa pensée. Lorsque cette dernière est construite en fonction d’une posture idéologique, elle tend à chercher à confirmer une conclusion préétablie. C’est le problème de la majorité des « fact-checkers » et de ceux qui prétendent lutter contre le complotisme: bien souvent, ils finissent par substituer un complotisme à un autre. La lutte contre le complotisme, lorsqu’elle n’est pas faite sérieusement, n’est rien d’autre qu’une manière de manipuler l’opinion. Le complotisme n’est pas simplement le fait d’envisager des hypothèses dans une situation où la réalité n’est pas claire, mais lorsqu’on tente d’imposer l’une d’entre elles.

Nous avons déjà évoqué le quotidien Le Temps dans le contexte du complotisme. Le 22 octobre, relatant une conférence de presse de John Ratcliffe, Directeur du Renseignement National (DNI) américain, ce quotidien suisse, qui se veut être la référence suisse du journalisme de qualité, déclare que la Russie et l’Iran ont entrepris des actions pour influencer la présidentielle du 3 novembre. Pourtant, rapportant le même événement, Reuters affirme qu’ « il n’y a aucune preuve concluante » de cette accusation, tandis que selon le Washington Post, les métadonnées recueillies à partir des e-mails ont montré l’utilisation de serveurs en Arabie saoudite, en Estonie, à Singapour et aux Émirats arabes unis. Certes, le quotidien suisse ne fait que relater une conférence de presse, mais on note que le quotidien n’a pas la même « assiduité » pour relater que John Ratcliffe a déclassifié des documents en septembre 2020, qui tendent à montrer que « l’ingérence » russe lors de la présidentielle de 2016 était – en réalité – le fait des Démocrates, qui cherchaient à engager une procédure de destitution contre Trump… C’est cette absence de rigueur dans l’application d’une déontologie journalistique qui ouvre la porte au conspirationnisme.
Ainsi, ceux qui sont très prompts à dénoncer le « conspirationnisme » son-ils souvent les mêmes qui tendent à influencer l’opinion en fonction de leurs propres préjugés.

Le conspirationnisme est généralement associé au développement des réseaux sociaux. C’est très partiellement vrai, mais c’est souvent une illusion d’optique: la plupart des « théories du complot » « sérieuses » que l’on évoque habituellement sont très antérieures aux médias modernes et aux réseaux sociaux. Internet n’est pas seulement un moyen de propager des fausses nouvelles, mais aussi un outil pour les neutraliser… à condition d’être bien utilisé! Avant 1990, 80% des Américains considéraient l’assassinat de Kennedy comme un complot, mais ils ne sont aujourd’hui que 60% . En fait, la majeure partie des théories complotistes circulent entre « convaincus ». L’émergence de théories alternatives a le plus souvent son origine dans la communication déficiente des autorités, qui, pour des raisons diverses, tentent de cacher leurs propres erreurs.

Merci à Jacques Baud de ses éclairages dont la suite sur ce même sujet est pour demain! Quant aux précédents entretiens, vous les trouverez ici 

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Entre complotisme et complot, quelle nuance? Sixième entretien avec Jacques BAUD

-Jacques BAUD, merci de clarifier encore un élément relatif au complotisme. Si celui-ci consiste à arranger l’énoncé de faits dans le but de contribuer à une stratégie d’influence, les vrais complots existent-ils?

Jacques BAUD: -Le problème essentiel est que les complotistes – et ceux qui prétendent les combattre – n’ont pas de rigueur pour définir le complotisme. Par exemple, Conspiracy Watch voit dans le fait de croire que « Dieu a créé l’homme et la Terre il y a moins de 10000 ans » comme une théorie complotiste ! A l’évidence, il s’agit d’une croyance, qui n’implique pas l’existence d’un « complot ». En fait, il s’agit de discréditer ceux qui – à tort ou à raison – ont une lecture littérale de la Bible. On trouve exactement le même phénomène avec d’autres sites qui prétendent faire du « fact-checking ». Cette absence de rigueur facilite la confusion entre des « suppositions » et la « réalité ».

Comme nous l’avons vu, la problématique de notre action dans la situation internationale actuelle est, qu’elle est dictée par des présomptions que l’on transforme en certitudes. On est « complotiste » lorsqu’on doute de la responsabilité de Vladimir Poutine dans l’empoisonnement de Serguei Skripal ou Alexeï Navalny, mais on ne l’est pas lorsqu’on affirme qu’ils été l‘objet d’un « complot » ourdi par le gouvernement russe…

Ce qui favorise l’élaboration de théories du complot est clairement l’absence de transparence. Celle-ci vient le plus souvent du fait « qu’on ne sait pas » et parfois parce qu’on ne peut ou ne veut pas communiquer sur un sujet. Ici, il faut également démonter un mythe répandu : les services de renseignement savent beaucoup moins que ce que l’on pense !

La faiblesse des théories du complot réside pratiquement toujours dans la réponse à la question : « A quelles fins ? » Il s’agit de comparer le gain qu’apporterait une « conspiration » par rapport au risque politique encouru au cas où elle serait éventée. En fait, le plus souvent, on constate que le « comploteur » aurait pu obtenir le même résultat plus facilement et à moindre coût.

Un exemple est la publication de la « vidéo intime » de Benjamin Griveaux, en février 2020. Immédiatement, on suggère que la Russie (et donc, Vladimir Poutine) est impliquée dans sa diffusion! Dans quel but ? Pas de réponse. A quelle fin la Russie, en délicatesse avec l’Europe, prendrait le risque de s’impliquer dans l’élection d’une mairie (même celle de Paris), pour nuire à un candidat dont la campagne électorale est navrante depuis son début et « vouée à l’échec » ? Toujours pas de réponse ! Avec des « on dit que… », un journaliste de LCI suggère même que Piotr Pavlensky – l’auteur de la fuite – bénéficiait d’une « forme de complaisance » de part de la police russe et serait une « personnage qui pratique une duplicité … » et suggère qu’il serait employé par le gouvernement russe ! Pourtant, Cédric O, secrétaire d’État au Numérique, affirme ne disposer d’ « aucune information qui laisse penser qu’il pourrait y avoir autre chose qu’un agissement personnel » et qu’il n’a « aucune preuve, ni aucun indice qui nous laisse penser que la Russie soit impliquée ». Donc : rien ! Mais personne n’a qualifié tous ces brillants journalistes de « complotistes » !

C’est pourquoi j’aime bien citer Michel Rocard : « Toujours préférer l’hypothèse de la connerie à celle du complot. La connerie est courante. Le complot exige un esprit rare. »

Cela dit, cela ne signifie pas que les « vrais » complots n’existent pas. Mais ils sont beaucoup plus « discrets » que ceux que l’on nous présente dans la presse. Ils sont le fait d’acteurs qui se sentent – à tort ou à raison – dos au mur et ne voient pas d’autre alternative pour agir, et qui sont prêts à prendre le risque pour des raisons existentielles. C’est (très probablement) le cas de l’assassinat de Kennedy, pour lequel je pense que la version officielle ne reflète pas la réalité et les indices existant. C’est pourquoi cela n’est certainement ni la mafia, ni la CIA, ni le haut commandement militaire américain, ni les Soviétiques, ni les Cubains…

L’influence a toujours existé et fait sans doute partie de la manière dont les humains interagissent. Le problème est que nous devons admettre que bien souvent, nous ne connaissons pas la vérité. Dès lors, chacun peut avoir des interprétations différentes d’un événement : de la plus compréhensive à la plus intransigeante. C’est légitime. Mais, dès lors que ces interprétations doivent se traduire par des décisions, je pense qu’une certaine retenue doit guider le décideur politique et ceux qui les conseillent.

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Comment se construit une théorie complotiste, cinquième entretien avec Jacques Baud

-Jacques BAUD, comment se construit une théorie complotiste?

Jacques BAUD: -L’élaboration d’une théorie complotiste fait appel à plusieurs techniques, dont les principales sont :
1. La suppression des informations qui pourraient contredire la théorie.
2. La construction d’une logique en partant de la conclusion.
3. La création ou l’exploitation d’une confusion sur l’objet même de la discussion.
4. En dernier ressort, l’attaque personnelle…

En reprenant ces différentes techniques :

1. La technique la plus courante est d’écarter toutes les hypothèses et informations qui pourraient infirmer la conclusion que l’on cherche à établir. Par exemple, concernant les armes chimiques en Syrie, on n’évoque que 3 incidents : la Ghouta (2013), Khan Sheykhoun (2017) et Douma (2018), afin d’affirmer que « l’opposition syrienne n’a pas les capacités de conduire une opération d’une telle ampleur avec des agents chimiques ». Pourtant, les Nations Unies ont recensé plus de 300 occurrences en Irak et en Syrie ; Bachar al Assad utiliserait-il donc ses armes en Irak ? Evidemment non. Mais on n’en parle pas, car il s’agissait d’attaques entre factions rivales ou contre des positions gouvernementales, contredisant l’idée que seul Bachar al-Assad disposait d’armes chimiques. D’ailleurs, comme on peut le lire dans mon livre, en 2012, le président Obama adresse sa « ligne rouge » au gouvernement syrien, mais aussi – ce que l’on ne dit jamais – aux « autres acteurs sur le terrain », car 10 mois avant l’attaque de la Ghouta, on avait des indications très claires que les rebelles islamistes avaient des armes chimiques, dont certaines provenant du dépôt de la base militaire de Darat Izza.

Dans les affaires Skripal et Navalny, on retrouve les mêmes procédés. Les articles de presse se multiplient pour qualifier Vladimir Poutine d’empoisonneur. Mais, objectivement, qu’en est-il ? Admettons qu’ils aient été empoisonnés. Dans les deux cas, les laboratoires occidentaux n’ont pas été en mesure de déterminer si le « novitchok » avait été produit en Russie. En fait, les impuretés dans ce type de toxique constituent une « signature » qui permet de déterminer son origine. Or, on sait qu’après la guerre froide, plusieurs pays occidentaux ont synthétisé du « novitchok » (entre autres, les États-Unis, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et la Tchéquie), et que des échantillons ont été vendus à des organisations criminelles. Dans l’affaire Skripal, le laboratoire de Porton Down n’avait pas été en mesure d’affirmer que le poison avait été produit par la Russie, c’est pourquoi, après d’âpres discussions entre le directeur du laboratoire et le cabinet de la 1ere Ministre, Theresa May (et les autres gouvernements occidentaux par la suite) ont dû employer l’expression « toxique d’un type développé par la Russie ».

Dans l’affaire Navalny, le gouvernement allemand est dans la même situation et utilise le même artifice :

« A l’instigation de la Charité – Médecine Universitaire de Berlin, un laboratoire spécial de la Bundeswehr a réalisé un test toxicologique à partir d’échantillons d’Alexeï Navalny. Ainsi, la preuve sans équivoque d’un agent chimique neurotoxique du groupe Novitchok a été fournie. Alexeï Navalny avait été transporté de Russie à Berlin pour un traitement médical le 22 août avec des symptômes d’empoisonnement. »

C’est pourquoi, comme on le constate, le gouvernement allemand se garde bien d’affirmer que a) le Novitchok analysé a effectivement été produit en Russie et b) Navalny a été empoisonné par le gouvernement russe ; mais enjoint la Russie à fournir des explications. Ce qui n’excuse personne, mais n’autorise pas non plus à accuser Vladimir Poutine ! Car Navalny a égratigné de nombreux autres acteurs dans sa lutte contre la corruption, qui pourraient avoir eu l’intention de se venger ou de l’empêcher de nuire… En fait, les hypothèses sont suffisamment nombreuses pour faire douter de la sincérité des Occidentaux, d’autant plus que dans les deux affaires, ils ont refusé de partager leurs preuves et leurs éléments d’analyse avec la Russie. Le complotisme se construit autour des zones d’ombre…

On peut donc probablement reprocher au gouvernement russe de n’avoir pas investigué sérieusement ces cas, et on peut certainement lui reprocher de manquer de transparence sur ces affaires. Mais tirer la conclusion que la seule explication possible est que Navalny a été empoisonné par le gouvernement russe (lire : Vladimir Poutine) parce que a) il est le seul à avoir pu utiliser du Novitchok et b) cela aurait déjà été fait pour Skripal relève tout simplement du… conspirationnisme !

2. Une deuxième technique est de déterminer la conclusion d’un raisonnement, puis de rechercher des hypothèses en conservant celles qui lui correspondent et en rejetant celles qui ne correspondent pas : on crée ainsi une sorte de logique. Techniquement parlant, cette méthode peut fonctionner pour des situations simples, comme élucider un meurtre avec un nombre restreint de coupables possibles, par exemple. En revanche, pour les problèmes multidimensionnels que l’on voit en politique ou stratégie internationale, les chances de se tromper sont énormes.

Ainsi, pour l’affaire Skripal en 2018, le site Bellingcat est arrivé à « identifier » les auteurs de l’empoisonnement à Salisbury avec une succession d’approximations : on n’a pas cherché à savoir qui était Boshirov (un des deux Russes identifiés à Salisbury), mais on a cherché un individu avec un profil correspondant. On a commencé par définir un profil type d’un officier de renseignement militaire russe, puis cherché un personnage qui puisse y correspondre. On a choisi une unité militaire dans laquelle on pensait qu’un tel agent aurait pu être formé, puis on a cherché dans les médias (articles de presse, documents d’archives et autres) des mentions concernant des individus correspondant au profil établi, ce qui a conduit au colonel Tchepiga. Les photos publiées dans la presse de l’individu identifié à Salisbury (Boshirov) et l’ « agent » du GRU Tchepiga montrent effectivement une ressemblance. Mais elle n’est que superficielle : une analyse faciale plus poussée montre qu’il n’y a qu’une probabilité de 2,8% pour qu’il s’agisse de la même personne. En fait, avec cette même méthode, on aurait tout aussi bien pu trouver un coupable en France ou en Suisse ! De fait, une mission de ce type – en admettant même qu’elle ait été planifiée par le gouvernement russe – ne serait pas du ressort du GRU (qui n’a pas les compétences techniques et les réseaux pour le faire), mais par le Service de renseignement extérieur (SVR) qui dispose de réseaux clandestins un peu partout dans le monde (comme la CIA ou la DGSE). Le problème est que le SVR est très peu connu, c’est pourquoi on évoque le GRU (ou le FSB) pour attribuer des opérations clandestines (ingérence dans les élections, etc.), malgré le fait que ces deux services n’ont ni les ressources, ni les compétences, ni les agents pour le faire ! Donc on a cherché et trouvé un « agent du GRU » ! La même démarche aurait permis de trouver un « agent du SVR »… à condition – qu’à la différence des militaires – ce type d’agent soit sur les réseaux sociaux !

En fait, Bellingcat et Conspiracy Watch se réfèrent à la même démarche que celle utilisée par le Dr Barbara Hatch Rosenberg dans l’affaire de l’ « Amerithrax » (septembre-octobre 2001). Elle a établi le profil de l’auteur des attaques dans un document publié sur l’internet («Possible Portrait of the Anthrax Perpetrator ») en ayant déjà le suspect en tête. C’est ce qui a conduit le FBI à arrêter Steven Hatfill, qui sera déclaré innocent en 2008, après que le FBI a découvert qu’il n’y avait « pas la moindre étincelle de preuve indiquant que Hatfill avait quelque chose à voir » avec les attaques.

C’est également la raison pour laquelle la lutte contre le terrorisme stagne depuis des décennies : on tente d’expliquer le phénomène à travers nos propres préjugés, en créant des réalités artificielles. C’est ce que la France expérimente au quotidien dans le Sahel : elle tue des terroristes, mais n’affaiblit pas le terrorisme…

3. Une troisième technique est de comparer des informations/données de nature différente et jouer sur des différences de perception. Par exemple, lorsqu’on m’attribue l’affirmation qu’il y a cent fois moins de victimes au Darfour que ce qu’affirment les experts. C’est évidemment faux, et l’explication est en toutes lettres dans mon livre : je fais la distinction entre les victimes de la violence (massacres, assassinats et tueries diverses) et les victimes dues aux conséquences du conflit (maladies, malnutrition, famine, etc.). La première catégorie est assez claire : des photos ou des observations faites par des observateurs/militaires étrangers permettent d’avoir une idée assez précise de l’ampleur du problème. La seconde catégorie, en revanche est beaucoup plus floue, car il est très difficile – pour ne pas dire hasardeux – d’attribuer au conflit des situations sanitaires qui sont déjà naturellement précaires dans toute la région sahélienne. J’ai moi-même eu l’occasion de me pencher sur cette question avec des spécialistes de l’OMS au Darfour, et on ne parvient généralement à quantifier le phénomène qu’à partir de calculs et d’évaluations statistiques. En poste au Soudan en 2005-2006, nous avions dénombrés environ 2’500 morts de mort violente durant cette période. Un chiffre qui correspond à ce que l’on observe bon an mal an au Darfour. Or, durant la même des experts occidentaux ont dénombré 200’000 morts pour la même période. Pourtant, les activités humanitaires se sont déroulées normalement durant ces deux ans et la visibilité sur l’ensemble des victimes n’atteignait pas ce chiffre. En fait, on crée une confusion dans la définition de ces chiffres et la manière de les calculer pour les agréger et alimenter l’idée d’un génocide.

Que des militaires soudanais aient commis des crimes, c’est très probable ; mais affirmer que le gouvernement soudanais ait cherché à commettre un génocide au Darfour n’est qu’une construction intellectuelle. En fait, on est bien davantage sur une mauvaise gestion du conflit, que les pressions internationales n’ont pas contribué à améliorer.

4. Finalement, une quatrième arme des conspirationnistes est l’attaque personnelle contre ceux qui tenteraient de les contredire. Ces derniers appartiendraient aux Illuminati, aux Frères Musulmans, à l’extrême-gauche, à l’extrême-droite, s’exprimeraient « sur la télévision d’Etat russe », etc. C’est la manière moderne d’ostraciser des opinions et d’éviter les discussions sur la substance des choses.

Le problème de qualifier de « complotisme » les opinions divergentes est de rétrécir notre champ de vision. On tend ainsi à créer une dystopie qui influence négativement notre manière d’agir. Par exemple, si l’on avait dit, en septembre 2014, qu’intervenir militairement en Irak pourrait déclencher des actes terroristes en France, aurait-on agi de la même manière ? N’aurait-on pas entouré cet engagement de mesures de protection plus sérieuses en métropole ? De même, si on avait décrypté avec plus de sensibilité le mécanisme des violences à la suite de la publication des caricatures en 2005-2006, n’aurait-on pas suivi l’exemple de la Norvège et mieux « emballé » leur publication par Charlie Hebdo ? Le fait d’expliquer le terrorisme comme une fatalité liée à une volonté de conquête de l’Occident ou à la destruction de nos valeurs a pour conséquence que nous ne remettons pas en question la manière dont nous agissons. C’est pourquoi le chapitre « Charlie Hebdo » n’est manifestement pas clos, et c’est pourquoi le terrorisme n’a fait qu’augmenter ces 30 dernières années. C’est exactement l’objet de mon livre. Il serait bon que certains sortent de leurs schémas intellectuels et de leurs préjugés car ce sont eux qui créent les catastrophes.

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Journalisme d’opinion ou de désinformation, à voir…

Le Monde, fidèle à lui-même, nous explique ce qu’il en serait des relations entre Ankara et Moscou, ou disons plutôt, entre les Présidents turc et russe. Dans un article intitulé « Entre Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdogan, l’entente brutale« , les grands russophiles que sont les signataires de cette « analyse » déploient la narrative et la rhétorique bien connues pour parler des présidents russe et turc qui auraient « en partage leur aversion pour l’Occident et leur soif de pouvoir ».

Et en cours d’article, de citer une fois encore le nom d’un homme dont ils ne semblent toujours pas avoir saisi que, chez eux, il serait mis au pilori pour ses idées racistes et extrémistes. Mais journalisme de propagande oblige, on se moque bien de révéler qui il est et comment il est perçu par les Caucasiens auxquels il ne souhaite que de disparaître selon la méthode qu’il recommande en son et en image.

Quand on veut convaincre, user d’arguments à cette fin serait préférable plutôt que de se fourvoyer entre mensonges et compromissions. Seulement voilà, à force de répéter, de répéter et de répéter encore que ce blogueur-lutteur anti-corruption condamné lui-même pour corruption serait le « principal opposant » du Kremlin qu’il ferait trembler au point que celui-ci l’aurait « empoisonné », le public finit par y croire et reprendre, lui aussi, cette antienne.

Bref, autant dire qu’on a là à faire à du journalisme, dans le meilleur des cas d’opinion et non d’information.

Mes détractrices et mes détracteurs, chaque fois que je m’exprime ici sur ce qui concerne la Russie, m’estiment voler au secours du Kremlin, comme si, privé de tout moyen de défense, il avait besoin de mes efforts pour lui venir en aide. Ces gens disposeraient-ils d’un minimum de sens du ridicule voire d’un cerveau? Sans doute pas pour afficher pareil raisonnement et puissance d’analyse!

Car, en réalité, on est dans un tout autre registre dont une illustration a été montrée ici.

Il se trouve qu’au-delà de mes études de russe, en tant que linguiste, j’ai consacré des travaux à l’analyse de discours. Et que c’est cette activité qui m’incite à réagir lorsque je découvre comment nos médias rendent compte de la « Russie de Poutine », selon leur formule plus que consacrée. Je m’exprime donc en tant qu’observatrice pour faire part de ce que je constate de la manière dont les médias dits mainstream usent de formules rhétoriques.

Mais bon, il semble que ce sens de la critique ne doive être réservé qu’à certaines personnes dont les titres universitaires sont brandis tels des preuves de leur incontournable compétence à proférer autant d’approximations que de mensonges et même de trouver éditeur pour les publier et nombreux relais médiatiques pour les diffuser. Lutter contre la mauvaise foi et la malveillance  est un combat déséquilibré, nous somme nombreux à l’expérimenter.

Et ce combat déséquilibré peut paraître perdu d’avance. Il ne l’est pas pour le seul fait qu’en le menant, on ne se vend pas.

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Quand une émission télévisée grand public nous raconte la Russie…

Donc je me suis à nouveau forcée à regarder l’émission animée par cette jeune femme dont il a été question ici mais dont il paraît préférable de taire l’identité vu qu’elle semble éveiller l’activité d’algorithmes d’un réseau social bien connu.

Coïncidence ou pas, après avoir évoqué la difficulté de la dame à nommer correctement celui dont elle parlait et dont le sort tient en haleine tant de nos médias, ce sujet donc a été impossible à partager dans des groupes dudit réseau social.

En d’autres termes, les algorithmes ont paré à la trop grande diffusion de l’ignorance de cette animatrice d’émission grand public.

Le fait est que, dans celle que je me suis infligée à nouveau, d’émission, le prénom de celui dont on a appris qu’il avait mis un terme à sa grève de la faim a été le bon. Merci pour lui, quand même, cela dit sans la moindre ironie. Car oui, il m’importe de le souligner ici une fois encore, c’est à la russophobie patente de tant de nos médias que je réagis, le sort de cet homme étant à distinguer de ce qui en est fait.

Mais comment se battre contre autant de mensonges diffusés à grande échelle et à grands renforts d’appuis autant financiers que politiques? C’est David contre Goliath, ce blog et les médias mainstream! Qu’à cela ne tienne, ce qui y est énoncé l’aura été.

Car à découvrir cette nouvelle séquence médiatique consacrée à celui qu’on s’obstine à présenter comme le  « principal opposant » du Kremlin,  la narrative met la dramaturgie au service d’une évidente propagande.

Dans l’entretien que nous avons eu avec Jacques Baud et qui a été publié ici hier, l’éclairage qu’il nous livre permet d’emblée de comparer la réalité de faits aux broderies énoncées dans le cadre de cette émission fort suivie et prisée par la confiance que lui accorde son public..

Nul(le) n’est obligé(e) d’aimer « la Russie de Poutine ».

Mais le mépris affiché de certain(e)s journalistes envers un peuple qui a élu son Président avec un score de voix autrement plus élevé que celui obtenu par d’actuels Présidents occidentaux, ce mépris-là, c’est lui que je combats tant il déshonore la profession de journalste.

Politique, société, Voix

27 ministres européens des Affaires étrangères au chevet d’un gréviste de la faim…

La lecture de cet article de la Tribune de Genève -en réalité, une dépêche de l’AFP- en laisse plus d’un pantois, en témoignent les commentaires déposés à sa suite.

Il y est question du sort de celui qu’on a désormais fait comprendre au public occidental qui tente de s’informer, qu’il était « le principal opposant de Vladimir Poutine ». Certains journalistes l’ont appelé Alexandre, d’autres, Sergueï, en réalité, son prénom est Alexeï et son nom de famille, Navalny et c’est donc de lui que traite ladite dépêche reprise par le grand quotidien genevois.

De cet homme, il a été à plusieurs reprises question ici, vous le savez. Dans le cadre de l’un des nombreux entretiens que nous avons eus avec Jacques BAUD sur la désinformation, il a été expliqué ce qu’il en était de cet « empoisonnement », je vous invite vivement à le relire ici.

Ce qu’on découvre dans la dépêche de l’AFP a, heureusement fait réagir quelques commentateurs. Sinon, j’aurais cru rêver.

Imaginez, en effet, que, je cite, « Le sort d’Alexeï Navalny a été au programme lundi d’une réunion des ministres des Affaires étrangères des 27, consacrée plus largement aux rapports avec la Russie, avec notamment le déploiement de troupes russes aux abords de l’Ukraine et les expulsions croisées de dizaines de diplomates russes et tchèques.

Le jour où le sort de n’importe quel innocent mort de faim et non celui d’un homme condamné pour corruption et qui se met volontairement en « grève de la faim » inquiétera « les 27 », alors on risque bien de passer dans « le monde d’après ».

Pour l’heure, nous sommes non seulement dans le même monde d’avant mais surtout, de plus en plus russophobe.

Merci aux trois commentateurs de l’article qui, chacun à leur manière, ont relevé l’aberration de pareille mobilisation européenne, interrogé à juste titre la responsabilité du Kremlin dans la décision du prisonnier d’entamer une grève de la faim et conclu à quel point était épuisante, la permanence de la propagande russophobe.

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Ces opportuns et très sélectifs rappels au passé soviétique de telle ou telle personnalité…

Comment mieux brandir l’épouvantail russe sinon de le renvoyer à son passé soviétique et d’autant influencer l’opinion? Il suffit de citer quelques références caractérisées de l’ex URSS et de les associer à tel ou tel protagoniste russe actuel pour ainsi créer l’amalgame.

Rappelez-vous, il en a été question ici lorsque nous sommes revenus sur cette émission de la RTS  qui, à plus d’un égard, servira de référence de la plus mauvaise foi qui soit. En fin d’émission, en effet, le présentateur a choisi de diffuser des images du coup d’Etat de 1991 à Moscou et d’y joindre le nom de l’actuel président russe, laissant ainsi suggérer aux téléspectateurs qu’il y avait été impliqué.

Or pas du tout et au contraire!

Cela a été clairement énoncé dans cet entretien avec Jacques BAUD qui, par la même occasion, a cité les propos tenus par Vladimir Poutine en 2005 sur ce qu’il en avait été de l’effondrement de l’URSS et de ses conséquences, propos trop souvent détournés par nos journalistes si avides « d’informer » leur public qu’ils paraissent préférer réciter la leçon mensongère qu’on leur a inculquée.

Un nouvel exemple de ce genre d’influence à exercer sur les esprits figure dans un article du journal Le Temps. La parole est donnée au député du Parlement russe, Viatcheslav NIKONOV. Fort bien. Mais comment est-il présenté? Par ses activités politiques, immédiatement suivies de son ascendance, mentionnée à trois reprise, excusez du peu!

Or il y a bien une raison qui vous sautera aux yeux alors qu’en règle générale, les personnes que l’on interroge sur un sujet d’ordre politique, ne sont pas identifiées en référence à leurs ancêtres. Au prétexte qu’ils seraient célèbres, ils vaudraient d’être mentionnés? Et de manière si insistante qu’ils doivent être cités à trois reprises à quelques lignes d’intervalle?

Lisez un peu, il s’agit du début de l’article. D’emblée apparaît l’orientation à donner à la lecture des propos que tiendra Viatcheslav NIKONOV. Car le journaliste s’est arrangé pour qu’au nom de son invité soit associé celui de Staline, ni plus ni moins. Ce qui donne:

Député du parlement russe, Viatcheslav Nikonov en est persuadé: ses compatriotes «sont concernés par la pandémie, la croissance économique, le niveau de vie, l’éducation». Alexeï Navalny, l’opposant envoyé dans une colonie pénitentiaire? Ses supporters sont descendus dans la rue «sur une commande actionnée de l’étranger, vous m’excusez, mais ce n’est pas un soutien massif». Viatcheslav Nikonov est historien et il porte le prénom de son grand-père, Molotov, illustre ministre de Staline. Le Temps l’a rencontré.

Pour Viatcheslav Nikonov, président de la commission pour l’éducation et la science de la Douma, la majorité de la population russe est davantage préoccupée par les situations économique et sanitaire que par l’affaire Navalny. Les salves contre le régime politique seraient orchestrées par l’Occident, estime cet historien et petit-fils de l’illustre ministre des Affaires étrangères de Joseph Staline

Des milliers d’opposants russes et des diplomates occidentaux se sont rassemblés samedi à Moscou pour pour rendre hommage à l’opposant Boris Nemtsov, assassiné il y a six ans à proximité du Kremlin. Un autre opposant à Vladimir Poutine, Alexeï Navalny, a été transféré la semaine dernière dans une colonie pénitentiaire à 200 kilomètres de Moscou pour purger sa peine de 2 ans et demi. L’influent député du parlement russe Viatcheslav Nikonov est le petit-fils de Molotov, le ministre des Affaires étrangères de Joseph Staline ayant donné son nom au pacte Molotov-Ribbentrop. Il commente l’affaire Navalny et les relations de son pays avec l’Occident. (…)

Sur le site du journal, seules deux références apparaissent, deux de trop quand un homme n’est pas responsable des faits et gestes de ses aïeux, que je sache. Cependant voilà, ces rappels du passé soviétique de telle ou telle personnalité sont de préférence réservés à toute personne qui, de près ou de loin, n’a rien contre Vladimir Poutine.

Voyez vous-mêmes! Auriez-vous lu quelque part le rappel du passé soviétique fort éloquent de la Nobel de littérature 2015, Svetlana Alexiévitch? Auriez-vous une fois entendu rappelé quelque part dans nos médias occidentaux qu’elle avait été une inconditionnelle admiratrice de l’une des plus intransigeantes figures de l’URSS, Félix Dzerzhinski?

A tant de nos journalistes qui aiment à citer les noms de personnalités soviétiques qui ont exercé la terreur, allez jeter un oeil sur la déclaration enflammée qu’adressait la lauréate de l’Académie de Stockholm à Félix Dzerzhinski, le fondateur de la TCHEKA, ancêtre du KGB, lui-même devenu FSB, cela vous donnera une petite idée de ce qu’il est préférable d’éviter de mentionner…

Parce que, je le récris ici, à 29 ans, âge auquel la Nobélisée s’est à ce point exaltée lorsqu’elle évoque celui dont Wikipedia rappelle le surnom de « Félix de fer » et non « … le chat » et dont il est aussi écrit que  » dans sa célèbre biographie de Lénine, Ferdynand Ossendowski a brossé un portrait accablant de Dzerjinski en tant que pur psychopathe », on se dit que le deux poids deux mesures est vraiment un système bien rôdé.

Et on s’étonne des réactions, entre autre publiées ici, alors que rien n’est fait pour apaiser mais tout, au contraire, pour exciter les tensions entre Occident et Russie? Mais elle n’est pas un pays à diaboliser! Elle n’est pas notre ennemie! Sauf à la construire telle auquel cas, bravo mais alors, attendez-vous au pire. Car à trop chercher, on trouve.

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France 2, un envoyé très spécial en Russie…

Une partie de la célèbre émission de France 2, « Envoyé spécial » de ce 25 février a été consacrée à celui que les médias semblent avoir définitivement décidé qu’il était le « principal opposant » de Vladimir Poutine.

Je veux parler donc d’Alexeï Navalny dont le destin, vous l’avez compris à toute l’attention qu’y portent, en Occident, tant de personnalités médiatiques et politiques, doit nous toucher.

Ainsi a-t-on droit à des trésors d’inventivité pour nous mobiliser et, surtout, nous émouvoir.

On l’a vu, la présentation de cet homme gomme savamment ce qui dépasserait les standards moraux admis. Sauf que, sauf que, voici qu’Amnesty International lui a retiré son statut de « prisonnier d’opinion ».

Camouflet? Les partisans de Navalny crient au complot!

Pour en savoir davantage sur le sujet, lisez cet article qui vous dira comment ce grand humaniste considère les peuples du Caucase qui n’ont pas vraiment apprécié et cela se conçoit.

Mais bon, on oublie et on reprend le fil du « principal opposant » du Kremlin.

Car, en effet, chercher à en savoir un peu plus sur cet homme et ses dires ne paraît pas être une des priorités quand tant de journalistes se risquent à des affirmations sans preuves qu’ils assènent telles des vérités.

Plusieurs d’entre elles ont été discutées dans ce sujet que je ne me lasserai pas de citer tant il indique comment se construisent et se véhiculent les fables concernant  » la Russie de Poutine ».

Celle de l’empoisonnement au Novitchok, par exemple ou celle de l’entretien qu’aurait eu Navalny avec un agent du FSB.

Quant à la fiabilité de l’agence « Bellingcat », l’une des références de France 2 mais aussi et de manière récurrente de la Tribune de Genève et du journal Le Temps, il en est aussi discuté dans ces sujets cités en lien ci-dessus.

Et si cela ne devait pas suffire, je vous invite à lire cet article édifiant, ici en français et là dans sa version originale en anglais.

Qu’à cela ne tienne, on vous présente, sur France2, un blogueur russe dont le procès aurait mis Moscou « sur ses gardes ». Et digne de la plus crasse russophobie, on énonce comment, « sous l’oeil du monde entier se joue un de ces procès dont la Russie a le secret ».

Ben voyons!

Plus loin, on apprend que « la colère s’empare des rues » et qu’elle serait « un défi sans précédent lancé au Kremlin », parce que Navalny serait sa « bête noire ».

Après cette mise en scène aussi émouvante qu’étudiée où défilent des images de la capitale russe avec lampes de poche de téléphone allumés, ce commentaire de fin:

« Il est trop tôt pour dire si ces quelques lumières dans l’hiver moscovite seront un feu de paille ou l’étincelle qui embrasera le pays dans une nouvelle révolution. »

Parce que le peuple russe n’a pas connu assez de sang versé entre 1917 et 1922? Qu’il en redemande, c’est cela?

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Plus grave que l’insulte, la malhonnêteté intellectuelle

Et hop, rebelote, me voici maintenant affiliée à l’extrême droite pour le soutien inconditionnel que je manifesterais envers le président d’un pays dont j’ai pourtant et à maintes reprises écrit ici que je l’aimais en tant que tel et à travers son Histoire, sa culture, son peuple surtout, je veux bien sûr parler ici de la Russie.

Mais non, qu’à cela ne tienne, ce serait son seul président dont je me ferais la défenderesse sur ce blog comme s’il en avait besoin.

D’extrême droite donc je serais, mieux encore, « dans le milieu des études sur la Russie contemporaine, apparemment considérée comme une fasciste alignée sur ce régime ultra-nationaliste de fous-furieux. », je vous passe le reste de ce qui m’a été rapporté par un jeune homme de ma connaissance dont l’une des relations lui a donc fait part de ce que je serais.

En tous les cas, moi qui peinais à me situer sur l’échiquier politique, me voici désormais éclairée!

Il est toujours intéressant de découvrir la manière avec laquelle est perçu un propos aussi nuancé soit-il. En l’occurrence, ici, l’aptitude de ce détracteur à lire ce que j’écris se double de références de choix dont on mesure l’impact. D’une part, le site  d’un courageux anonyme dont j’ai eu à plusieurs reprises les honneurs, d’autre part et surtout l’ ouvrage contre l’auteure et l’éditrice duquel,  avec cinq autres personnes, j’ai porté plainte pour diffamation.

Le jugement rendu a relevé que Cécile VAISSIE et son éditrice étaient inculpées d’au moins l’un des nombreux chefs d’accusation qui ont été portés contre elles. Les deux ont fait appel du jugement tout comme cinq des six plaignants que nous étions. Le procès se déroulera en mai prochain à la Cour d’Appel de Paris.

Autant, lorsque je considère déformée la réalité de faits par nos journalistes j’y réagis, autant j’estime que laisser passer ces considérations aussi dénuées de bon sens que dégradantes revient à cautionner une évidente malhonnêteté intellectuelle. Car j’ai eu beau répéter je ne sais combien de fois que je n’étais ni militante ni politicienne, qu’à cela ne tienne, on se gargarise de termes abusifs plutôt que de comprendre le sens d’une démarche.

Qu’on apprécie ou pas la politique russe est une chose. Qu’on invective qui dit aimer la Russie et rejeter sa diabolisation, une autre qui paraît impossible à faire passer. Combien de fois n’ai-je dit que rien n’était parfait en Russie mais loin du tableau qu’on en dressait? Mais non, rien n’y fait, je serais une femme inféodée aux milieux d’extrême droite, je serais animée de  » haine »  envers un homme au courage exemplaire, Alexeï Navalny pour ne pas le nommer que je couvrirais de  » boue » quand mon « coup de maître » serait d’avoir remis en cause son empoisonnement et j’en passe et des meilleures sur ce que j’aurais écrit de cet homme dont, pour rappel, voici ce qu’il en est.

Bien sûr que tout cela ne vaudrait pas même qu’on s’y arrête. Pourtant si, car ce genre de considérations agressives -et je pèse mes mots- ne sont de loin pas les premières que je reçois en partage. Au plus fort de la guerre dans le Donbass, alors que je manifestais mon soutien à sa population, j’ai eu droit à des courriels chargés de haine de la part d’un défenseur de la cause ukrainienne.

J’ai également eu à lire les très viles considérations de la part d’un journaliste de France2 par messagerie privée sur Twitter.

Voilà ce qui est réservé à la parole prise sans la moindre revendication politique mais qui ne vise qu’à refuser de voir salis un pays, son peuple, son Histoire, et sa culture. Car c’est à cela que je m’en prends, à ce qui déforme, à ce qui discrédite, à ce qui nuit de manière gratuite.  Or en retour, plutôt que d’arguments qui inviteraient au débat, ce sont les invectives et les insultes qui sont privilégiées.

Il est devenu presque impossible de parler de la Russie sans que cela ne déclenche de réactions clivées tant nos médias et leurs invité(e)s, spécialistes, expert(e)s sélectionné(e)s ont réussi à faire de ce pays celui « de Poutine ». Animé(e)s d’une rare détermination à convaincre qu’elle ne se résume plus qu’à lui, les émissaires de la bonne parole partent en croisade contre tout ce qui s’opposerait à elle.

Eh bien non, je refuse de me joindre à cette cohorte savante et je vous remercie, vous toutes et tous qui savez lire ce qui est publié ici.