Sur un réseau social, je trouve cet article de Franceinfo. Il évoque une femme de 79 ans qui vit en Sibérie, au bord du lac Baïkal. Une vidéo la montre, en quelques mots, elle parle de sa vie.
Paru en 2010, l’ouvrage a été salué par la critique et primé.
Cette vidéo donne un aperçu de ce qu’a vécu l’écrivain durant les six mois qu’a duré son séjour. Rien à voir, bien sûr, avec une vie permanente menée en pareilles contrées.
Mais les images, les réflexions que suggère à Sylvain Tesson le cadre qui l’entoure, son expérience, vous toucheront peut-être.
Le parcours de cet homme fait froid dans le dos. Dire qu’il est celui d’un tueur déterminé, dire qu’il est celui d’un dépressif suicidaire, le résultat, hélas est là.
Il est celui d’un homme reconnu brillant ingénieur, il est celui d’un homme qui a vécu plusieurs licenciements, il est celui d’un homme qui a réagi par l’extrême violence.
Désormais aux mains de la médecine et de la justice, son sort en dépend.
Il a plongé des familles dans le deuil, il a ajouté la douleur à la douleur, d’aucuns ne discuteront pas, d’autres tenteront de comprendre.
Ce qui est certain est qu’avec le contexte actuel, la pression qui s’exerce sur chacune et chacun de nous toutes et tous, ce genre de dérive assassine est à considérer de la manière la plus sérieuse qui soit.
Pointer des coupables? Il appartient aux tribunaux d’y procéder.
Ce qui n’empêche pas de s’interroger en amont et de mesurer combien de gens vivent en permanence sur un fil plus que rouge, un fil qui vire soudain au noir.
Et surtout de se dire que personne n’est à l’abri d’un coup de folie. Il est écrit de cet homme qu’il est « inconnu de la justice et sans antécédents psychiatriques ».
-Comme annoncé dans deux précédents sujets de ce blog, nous revenons avec Jacques BAUD sur l’affaire qui mobilise tant de milieux médiatico-politiques occidentaux. Je veux parler, ici, de ce qui concerne Alexeï Navalny et tout ce qui est énoncé de lui mais surtout, pas énoncé. Ainsi, par exemple, pour ce qui concerne le soi-disant empoisonnement du blogueur russe au Novitchok. Qu’en est-il en réalité et selon vous, Jacques BAUD?
Jacques BAUD: -Le 28 janvier 2021, sur France 5, l’émission « C dans l’air » modérée par Caroline Roux, traite le cas Navalny : une émission où la malhonnêteté jouxte l’ignorance, et défie l’éthique journalistique ; où les intervenants n’ont qu’une connaissance limitée du dossier ou sont des adversaires déclarés du pouvoir russe, et s’expriment en fonction de leurs préjugés. Il est ici intéressant de revenir sur cette affaire avec des éléments qu’aucun des intervenants n’a évoqués.
L’institut Montaigne publie une interview de l’économiste Sergei Guriev, outre ses très nombreuses erreurs factuelles, ce professeur d’économie affirme : « Tout laisse penser qu’il y a eu une erreur de calcul de la part de Moscou : on peut faire l’hypothèse que le plan était de supprimer Navalny et de l’enterrer ensuite à Moscou, puis de refuser le transfert des tests biologiques à l’étranger tout en niant l’empoisonnement. » Evidemment, ces affirmations sont totalement gratuites : aucune source fiable n’est mentionnée et rigoureusement aucun élément ne permet de les confirmer. On est très clairement dans une situation de complotisme, où l’on crée de toute pièce une machination. Mais ce n’est pas fini. Il ajoute : « On peut penser que les autorités ont attendu que le poison ait cessé de laisser des traces dans le corps de Navalny avant de le laisser partir. Ils ont dû estimer que deux jours suffiraient à en effacer toute trace. » Le même argument est évoqué sur France 5 et parLibération.
En fait, comme nous l’avons vu, les inhibiteurs de la cholinestérase se fixent sur la cholinestérase et restent ainsi dans le corps plus de trois à quatre semaines. En admettant que les services secrets russes aient la virtuosité dans l’emploi de poisons qu’on leur attribue, ils l’auraient certainement su. D’ailleurs, ajoutant la sottise à l’ignorance, Guriev n’explique évidemment pas pourquoi les experts français et suédois (mandatés par le gouvernement allemand), ainsi que ceux de l’OIAC, n’ont effectué leurs prélèvements qu’entre le 2 et le 6 septembre. Les Français, les Suédois et l’OIAC étaient dont « de mèche » avec les « tueurs du FSB », et ont attendu que les traces du « Novichok » disparaissent ? Guriev est un affabulateur.
Le 6 octobre, l’OIAC publie son rapport et observe :
Les biomarqueurs de l’inhibiteur de la cholinestérase trouvés dans les échantillons de sang et d’urine de M. Navalny ont des caractéristiques structurelles similaires à celles des produits chimiques toxiques appartenant aux tableaux 1.A.14 et 1.A.15, qui ont été ajoutés à l’annexe sur les produits chimiques de la Convention à la Vingt-quatrième session de la Conférence des États parties en novembre 2019. Cet inhibiteur de la cholinestérase ne figure pas dans l’annexe sur les produits chimiques de la Convention.
Le rapport conclut que Navalny « a été exposé à un produit chimique toxique agissant comme un inhibiteur de la cholinestérase ». Le biomarqueur est nommé dans la version classifiée du rapport, mais pas l’inhibiteur de la cholinestérase, qui ne figure pas sur la liste des produits considérés comme arme chimique. Ainsi, le 28 janvier, dans l’émission « C dans l’air », Galia Ackerman ne dit pas la vérité en affirmant que la présence de Novichok a été confirmée par l’OIAC.
En octobre 2020, les Suédois communiquent le résultat de leurs analyses, et constatent « la présence de [masqué] dans le sang du patient »… ! Donc on n’en sait rien : les résultats sont couverts par le SECRET militaire, mais on peut imaginer que s’il s’agissait de Novichok (ce à quoi s’attendaient les pays occidentaux), on n’aurait pas de raison de le cacher. Le 14 janvier 2021, le gouvernement suédois refuse de déclassifier ce résultat afin de ne « pas porter préjudice aux relations entre la Suède et une puissance étrangère ». On ne sait pas si cette puissance étrangère est l’Allemagne ou les États-Unis. En clair, ils n’ont rien découvert du tout, et se cachent derrière les affirmations des militaires allemands.
En effet, dans le rapport du 22 décembre 2020, publié dans la revue médicale The Lancet, les médecins allemands indiquent clairement qu’ils n’ont pas été en mesure d’identifier la présence de « Novitchok », mais seulement d’ « inhibiteurs de la cholinestérase ». Ils précisent clairement, que c’est l’Institut für Pharmakologie und Toxikologie der Bundeswehr (IPTB), qui mentionne le Novichok dix jours plus tard. Ainsi, lorsque le 23 décembre,Le Temps affirme que l’article du Lancet « retrace pour la première fois les symptômes déclenchés par l’agent neurotoxique du groupe Novitchok mis au point par l’URSS dans les années 1980 », c’est tout simplement faux.
Les analyses effectuées sur Navalny à son arrivée à l’hôpital de la Charité font l’objet d’une annexe de l’article du Lancet, qui peut être téléchargée ici. Je laisse le soin à nos lecteurs spécialistes d’analyser les valeurs relevées par les médecins allemands et d’en tirer les conclusions eux-mêmes. Mes maigres connaissances médicales et mes recherches sur ces différents résultats me suggèrent – sous toute réserve – quelques remarques :
La valeur de l’albumine suggère un problème lié au foie.
La valeur élevée de lactate déshydrogénase (LDH) suggère des troubles métaboliques souvent observés avec les tumeurs cancéreuses.
Les valeurs de l’amylase et de la lipase suggèrent une pancréatite, que l’on avait déjà évoquée à propos de Navalny dans le passé.
Les valeurs pour la protéine C-réactive, les leucocytes, les neutrophiles et les érythrocytes suggèrent une infection bactérienne.
L’amantadine est un médicament souvent utilisé dans le traitement de la maladie de Parkinson;
Le lithium est utilisé en psychiatrie pour le traitement des troubles bipolaires et de la dépression.
La faible valeur de butyryl-cholinestérase (BChE) – 0,42 à l’arrivée à Berlin et 0,41 au jour 3 – suggère l’exposition à un inhibiteur de cholinestérase, et pourrait être expliquée par le lithium.
On trouve des anxiolytiques avec des effets anticonvulsivants, comme le Diazépam et le Nordazepam, ainsi que de l’Oxazepam, utilisé pour traiter les troubles du comportement et l’anxiété. Les effets de l’Oxazepam, notamment lorsqu’il est pris en forte dose et après de l’alcool peut occasionner des crampes abdominales et musculaires, convulsions, dépression. Tiens, Tiens ! Ces médicaments sont généralement pris par voie orale. Or, si Navalny était dans le coma à son arrivée à l’hôpital d’Omsk, puis à la Charité, on peut supposer qu’il a pris ces médicaments lui-même à Tomsk. D’ailleurs, l’hôpital d’Omsk a indiqué que Navalny avait pris des « antidépresseurs tricycliques » avant son admission.
La présence d’inhibiteurs de la cholinestérase semble donc s’expliquer par les médicaments ingurgités par Navalny lui-même, selon toute vraisemblance après avoir absorbé de l’alcool. Cela explique que ses symptômes soient totalement différents que ceux de Sergueï et Yulya Skripal en 2018, même si l’on ne connait toujours pas avec précision la nature du poison qui les a touchés. Voilà qui remet en perspective les affirmations catégoriques de Pascal Boniface et Conspiracy Watch.
En fait, en effectuant leurs prélèvements 15 jours après l’arrivée de Navalny en Allemagne, les Français et les Suédois n’ont pu détecter que les « inhibiteurs de cholinestérase », mais pas les substances qui auraient favorisé leur apparition, comme le lithium ou les médicaments. En gardant leurs résultats secrets, ils n’avaient sans doute pas prévu que les médecins allemands publieraient le résultat de leurs analyses. Il ne serait d’ailleurs pas surprenant que cette publication (qui a une importance politique) soit une manœuvre délibérée de la part du gouvernement allemand. Ce dernier a été d’une certaine manière « pris en otage » dans cette affaire, et il pourrait avoir profité du changement de président aux États-Unis pour se dégager d’une situation qu’il n’a pas cherchée.
Ainsi, l’hypothèse que Navalny ait été victime d’une combinaison malheureuse de médicaments, apparait plus vraisemblable qu’un empoisonnement délibéré, grâce aux médecins allemands. C’est probablement pour disqualifier leurs conclusions, que, le 21 décembre, Navalny a organisé sa conversation avec un « agent du FSB » ; assez peu convaincante, comme nous l’avons vu dans un entretien précédent. Mais comme pour la crise de la CoViD, ni les faits, ni la science déterminent les opinions : les faits continuent à être contestés par partisans de la théorie d’un complot ourdi par Poutine contre Navalny.
-Merci de ces précisions relatives aux analyses effectuées suite à ce qui a d’emblée été présenté comme, au mieux « tentative d’empoisonnement » d’Alexeï Navalny, sinon d’empoisonnement au Novitchok. Ce que vous nous apprenez en dit long sur l’intrusion de la politique et de l’information rendue par tant de nos médias qui s’en réfèrent à l’avis de leurs expert(e)s privilégié(e)s.
Qu’en est-il maintenant de l’arrestation de Navalny à son retour d’Allemagne, selon vous?
Jacques BAUD: -On évoque l’arrestation de Navalny à son retour en Russie, en omettant délibérément et systématiquement d’en expliquer les raisons, laissant penser qu’il a été arrêté pour ses opinions. C’est d’ailleurs pourquoi l’Union Européenne exige sa libération immédiate. La vidéo de Pascal Boniface est illustrative de cette manière fallacieuse de présenter les choses. Il affirme même : « Quand on voit le luxe de précautions qu’ils prennent pour l’empêcher de parler, eh bien on voit qu’il n’est pas dénué d’influence». C’est évidemment faux. D’ailleurs, lorsqu’il est interpellé à son arrivée en Russie, en fait de « luxe de précautions », on lui laisse son téléphone portable, avec lequel il se filme dans le commissariat. En fait, comme souvent, notre expert parle de sujets qu’il ne connait pas : l’arrestation de Navalny et sa détention pour 1 mois n’a rien à voir avec ses opinions politiques.
En fait, inculpé de blanchiment d’argent et d’enrichissement frauduleux dans le cadre d’un litige avec la firme française « Yves Rocher », Navalny a été placé sous contrôle judiciaire, aux termes duquel, il a l’obligation de s’annoncer deux fois par mois à l’autorité pénitentiaire russe.France 24déclare que Navalny a été arrêté parce qu’il n’a pas rempli cette obligation durant son hospitalisation. C’est un mensonge. En effet, cette obligation a été suspendue par les autorités russes pour la durée de son hospitalisation à la Charité, à Berlin. Par ailleurs, on évite soigneusement de mentionner que Navalny avait déjà enfreint 6 fois cette règle en 2020 (deux fois en janvier, une fois en février, mars, juillet et août). C’est pourquoi, les autorités pénitentiaires russes ne pouvaient guère ignorer cette nouvelle infraction entre sa sortie de l’hôpital (23 septembre 2020) et son arrivée en Russie (15 janvier 2021) : c’est la raison de son arrestation à son arrivée en Russie. Mais cela a servi la propagande qui l’explique comme une tentative de museler le « principal opposant de Poutine ».
-Donc Navalny, tout le temps qu’a duré son hospitalisation en Allemagne, a été exempté de ce contrôle judiciaire obligatoire dans le cadre de l’affaire avec Yves Rocher pour laquelle il a été mis en accusation. Et plutôt que de rentrer immédiatement en Russie une fois sorti de l’hôpital de la Charité à Berlin, il a décidé de jouer les prolongations, enfreignant ainsi la loi russe dont vous nous rappelez qu’il n’en est pas à son premier coup d’essai puisqu’à 6 reprises déjà, il ne l’a pas respectée. Autant de précisions que nos médias se gardent bien de donner, préférant faire passer ce « principal opposant » selon la rhétorique en place comme victime…
Jacques BAUD: -En fait, la raison pour laquelle Navalny n’est pas rentré tout de suite en Russie était son séjour à Kirchzarten, aux Studios Black Forest, avec une équipe venue de Los Angeles pour réaliser un film de propagande : « Le Palais de Poutine ». Rappelons ici que c’est la Cinema for Peace Foundation (CFP) qui a financé le transport de Navalny en Allemagne ; une ONG qui promeut la paix et la démocratie (c’est très bien), mais ni en Palestine, ni en Arabie Saoudite, ni au Yémen…
Le 19 janvier 2021, le film en question est diffusé par l’ensemble des médias occidentaux et vu plusieurs dizaines de millions de fois. Il porte sur un somptueux palais situé à Gelendzhik, qu’une rumeur entretenue par ses adversaires, attribue à Vladimir Poutine. En fait, cette accusation est purement spéculative et rigoureusement aucun élément ne la confirme. Les éléments que l’on connait du projet montrent un complexe hôtelier avec une structure de financement impliquant plusieurs investisseurs. Cette construction monumentale aurait appartenu au milliardaire russe Alexander Ponomarenko, et l’actuel serait Arkady Rotenberg. Le coût total du projet serait de 100 milliards de roubles (soit 1,17 milliards CHF, mais que notre RTS, un peu marseillaise, convertit en 1,5 milliards CHF !), soit moins que l’hôtel Bellagio de Las Vegas et bien d’autres.
-Que penser de ce film, dans ce cas?
Jacques BAUD: -En fait, ce film n’est qu’un outil de de désinformation : les images du « palais » en question sont des images de synthèse, car en réalité, le bâtiment est encore en construction, comme le montre le « débunkage » d’un internaute russe qui a pu se rendre sur le chantier ! Cerise sur le gâteau : l’aigle que l’on voit sur le portail du « palais de Poutine », n’est pas l’aigle russe, mais l’aigle du Monténégro ! Par ailleurs, une oreille attentive constatera que Navalny n’emploie pas la langue parlée habituellement en Russie : elle est émaillée d’anglicismes, de tournures de phrases et d’expressions qui ont clairement une origine anglophone. Il est donc très vraisemblable que Navalny n’ait eu qu’à lire un script qui lui a été écrit par l’équipe venue de Los Angeles…
-Et bien sûr, pas un mot de tout cela sur nos grandes chaînes d’information, publiques ou privées sinon de très libres interprétations …
Jacques BAUD: -Sur France 5, Benoît Vitkine, correspondant du Monde à Moscou, voit la zone d’exclusion aérienne « juste au-dessus de la propriété » comme une preuve que ce palais appartient bien à Vladimir Poutine. C’est là aussi de la désinformation. En fait, Gelendzhik se situe au bord de la Mer Noire, à une quarantaine de kilomètres de la base navale de Novorossiysk et à mi-chemin de la frontière russo-géorgienne. Or, non seulement cette base abrite une partie de la Flotte de la Mer Noire, les principaux éléments de la 7 division aéroportée et un régiment de défense aérienne, mais c’est aussi la principale base logistique pour le contingent russe déployé en Syrie. C’est pourquoi, l’OTAN mène une intense activité de renseignement électronique spécialement dans cette zone. Par ailleurs, dans cette partie de la Mer Noire contiguë à l’OTAN, la tension s’est accrue depuis 2008 et 2014. Ainsi, les restrictions de l’espace aérien ne sont donc pas limitées au « palais de Poutine », mais concerne toute cette région frontalière couverte de stations d’écoute électronique, de défense aérienne et d’alerte lointaine pour la défense du flanc sud de la Russie. Mais évidemment, aucun « expert » de « C dans l’air » n’évoque ce contexte !…
L’affirmation de Galia Ackerman selon laquelle la propriété est gardée par le FSB est tout aussi fallacieuse. En fait, en 2011, un groupe d’écologistes a été interpellé dans cette zone par une patrouille de garde-frontières. Or, comme Mme Ackerman ne l’ignore pas, les garde-frontières constituent une administration distincte du FSB, qui n’a rien à voir avec les services de sécurité : leur mission est de surveiller la zone côtière, pour éviter la contrebande d’armes et de drogue en provenance de Turquie et de Géorgie.
Par ailleurs, Mme Ackerman explique que l’affaire de ce « palais » était déjà connue depuis qu’un certain Sergueï Kolesnikov l’a « dénoncée » dans une lettre au président Medvedev en 2010. Ce qui est vrai, mais elle ajoute qu’« ensuite, il est parti à l’étranger, bien entendu », laissant ainsi entendre qu’il était pourchassé comme « lanceur d’alerte ». En réalité, c’est l’inverse qui s’est passé : après qu’une procédure judiciaire a été ouverte contre lui pour malversation et escroquerie, Kolesnikov, a quitté furtivement la Russie en septembre 2010, pour s’établir aux États-Unis. C’est alors qu’il écrit une lettre au président Medvedev, en décembre 2010, où il accuse Vladimir Poutine (alors 1er ministre) de s’être fait construire le palais avec l’argent de la corruption… sans apporter de preuve de ses allégations, comme le constate le Financial Times.
Dans cette affaire, le film de Navalny et les pseudo-experts démontrent clairement un manque d’intégrité : ils relient des faits de manière à leur donner une cohérence (factice), qui soutient leurs préjugés et alimente un discours de type propagandiste. C’est exactement le même mécanisme que celui utilisé pour « expliquer » l’incident de Roswell en 1949, ou la présence d’extra-terrestres dans la « Zone 51 », dans le Nevada. En clair, techniquement, il s’agit de complotisme.
-Venons-en maintenant aux manifestations qui ont suivi ces événements, quelle lecture en donnez-vous?
Jacques BAUD: -La diffusion du film est suivie, le 23 janvier 2021, de manifestations menées par les partisans de Navalny dans les grandes villes de Russie. Elles ont tourné en boucle sur les médias occidentaux, qui y voient un succès pour Navalny. C’est certainement un « coup médiatique », mais y voir un succès est probablement aller un peu vite en besogne. Tout d’abord, comme nous l’avons vu dans un entretien précédent, l’opposition associée à Navalny est loin d’être démocratique et unifiée, mais regroupe des factions disparates de l’opposition non-parlementaire allant de l’extrême-droite à l’ancien parti communiste stalinien. Par sa diversité elle s’apparente aux « gilets jaunes » en France, sans en avoir la popularité ; et par sa représentativité, elle tient plus des émeutiers du Capitole, le 6 janvier.
Pascal Boniface y a vu des manifestations « brutalement réprimées», « matraques contre boules de neige ». Le lecteur jugera par lui-même. Ce qui est certain est que personne n’a été abattu dans le dos, que l’on n’a pas vu de tirs de LBD au visage, ni de mains arrachées par des grenades de désencerclement, ni les éborgnements que l’on constate régulièrement en France, et qui lui valent d’être épinglée par la Haute-Commissaire des Nations Unies pour les Droits Humains, pour un « usage violent et excessif de la force » avec le Soudan, le Zimbabwe et Haïti (et non simplement « comme pays prospère », ainsi que le prétend Libération !) C’est d’ailleurs pour cette raison que les manifestations contre la « Sécurité Globale » ne sont pas montrées aux actualités des médias publics et que la diffusion d’images de brutalités policières est réprimée…
Quant aux chiffres de la participation à ces manifestations, les médias occidentaux s’en sont donné à cœur joie : souvent invérifiables ce genre de chiffres fait l’objet de manipulations les plus diverses, y compris dans nos pays. Selon l’organisation de Navalny, il aurait eu 250’000 manifestants dans toute la Russie. Mais le média russe indépendant ZNAK donne des estimations probablement plus réalistes, totalisant environ 50’000 participants.
A cette occasion, ce que les médias francophones appellent « interpellations » en France, devient « arrestations » en Russie. Clairement, les médias occidentaux apparaissent plus comme des organes d’influence que des organes d’information…
Au final, cependant, le problème n’est pas tellement de savoir qui a raison ou si le système politique russe est démocratique ou non, et chacun peut avoir son opinion sur la question. La question intéressante est la manière dont nous traitons ces questions. Car sous prétexte de combattre l’autoritarisme, nous nions nos propres valeurs. En admettant que l’on accepte le fait d’intervenir dans les affaires intérieures d’un Etat – ce qui est contraire à la Charte des Nations Unies (Art.2, al.7) – le fait d’utiliser Alexeï Navalny à cette fin pose question. Militant d’extrême-droite, nationaliste (il avait approuvé l’annexion de la Crimée), ayant cherché à s’enrichir par des malversations et le blanchiment d’argent, il ne représente aucune des valeurs que l’Occident prétend défendre.
Sur France 5, Benoît Vitkine, correspondant du Monde à Moscou, affirme qu’il s’agit « du premier Navalny», suggérant qu’il est différent aujourd’hui. C’est faux, puisqu’en octobre 2020, alors quele Spiegellui demande : « Un parti vous avait expulsé en raison de votre participation à une marche nationaliste russe à Moscou. Vos opinions ont-t-elles changé? », Navalny répond: « J’ai les mêmes opinions que lorsque je suis entré en politique.
Quant à la question de savoir si Navalny est un « agent de l’étranger », Mme Ackerman, sur France 5, répond catégoriquement non. C’est faux. Soyons clair: Navalny n’est certainement pas un « agent de la CIA ». En revanche, la présence (selon le New York Times) d’agents de la CIA et du MI6 à son arrivée à Berlin, le financement de son séjour en Allemagne et du film, ainsi que le financement de son mouvement par la National Edowment for Democracy (NED) (créée pour reprendre une partie des tâches de la CIA) permettent clairement d’affirmer qu’il correspond à la définition d’agent de l’étranger, selon la loi russe, ou à celle de « Foreign Agent » aux États-Unis.Car il faut se souvenir que la NED n’entretient pas moins de 93 programmes d’influence en Russie pour un montant total de 7,3 millions de dollars (chiffres de 2019) ! Notons qu’il n’y en pas de programmes équivalents en Arabie Saoudite, par exemple : la question des droits de l’Homme et autres justifications ne sont donc qu’un prétexte pour une démarche politique. En fait, le seul mérite de Navalny est d’avoir été « choisi » par les États-Unis (qui lui ont financé sa formation dans le cadre du World Fellows Program de l’université de Yale).
-Jacques Baud, que vous inspire, en définitive, toute cette affaire telle qu’elle est présentée en Occident et telle qu’elle apparaît en Russie?
Jacques BAUD: -Je ne suis pas sûr que nous accepterions une telle ingérence dans nos pays… D’ailleurs, l’opinion publique russe ne s’y trompe pas et cela tend à se retourner contre Navalny lui-même. Après le « débunkage » de son film, manifestement réalisé avec une aide financière extérieure substantielle ; l’aide un peu trop visible de pays comme les États-Unis et la Grande-Bretagne et le jeu de leurs services secrets, révélé par le New York Times, incite la population russe à s’interroger sur le fait qu’il n’a jamais été condamné à une peine de prison ferme.
En fait, le « succès » de Navalny est également la raison pour laquelle il ne jouit pas d’une vraie crédibilité en Russie : pour beaucoup de Russes, il est une marionnette de l’Occident. Le soutien qu’il reçoit de l’Occident tend à le discréditer aux yeux d’une majeure partie de la population russe.
Le problème n’est pas de savoir si le gouvernement russe a raison ou non, mais de savoir si les dysfonctionnements de certains pays nous autorisent à désinformer, subvertir, mentir, tuer, torturer ou corrompre… au nom de la démocratie !
Quand la RTS, ou du moins l’un de ses journalistes, tellement conditionné par le point de vue à faire passer à tout prix sur la Russie se révèle, c’en devient pathétique.
Hier 2 février, le présentateur du téléjournal de 19:30 parle du vaccin russe Spoutnik V. Comment le présente-t-il?
En n’omettant surtout pas de rappeler le sort qui attend celui dont on va encore longtemps entendre parler tant le feuilleton est lancé sur toutes les radios, les télévisions, les journaux, les magazines, Alexeï Navalny.
Quand l’esprit est à ce point possédé par la vision négative de la Russie, on s’étonne, ensuite, de voir réagir celles et ceux que l’on qualifie de « russophiles » quand ce n’est pas directement de « suppôts du Kremlin »?
La Russie, pour qui sait échapper au prisme des rédactions de tant de nos médias mainstream occidentaux, est connue pour sa médecine de pointe. Et pas que pour elle, pour bien d’autres disciplines où elle excelle.
Mais on préfère la présenter sans cesse sous un angle politique, le plus souvent orienté par le regard des mêmes spécialistes, expert(e)s et autres défenseurs ou défenderesses de droits humains.
Réalisent-ils, réalisent-elles qu’en fin de compte, c’est un pays qui est insulté quand il ne cesse d’être ramené à sa seule dimension politique à l’exclusion de toute autre?
Ont-ils, ont-elles conscience, ces grands connaisseurs, ces grandes connaisseuses de la Russie, de l’arrogance et du mépris qui entourent pareille déconsidération de l’ensemble des activités qui s’y déploient avec succès et brio?
Mais tout cela ne date pas d’hier, hélas. Cela dure depuis des décennies tant on cherche à ramener « la Russie de Poutine » à l’ex-URSS dont on sait comment elle a été utilisée comme épouvantail…
L’information vient de tomber, l’opposant russe Alexeï Navalny a été condamné à trois ans et demi de prison. Inutile de dire que les rédactions de nos médias occidentaux se fendent de leur rhétorique habituelle pour couvrir l’événement.
De longue date, j’ai attiré l’attention, sur ce blog, de l’usage fait de la langue par les journalistes.
Certes, ils ne sont pas les seuls à avoir appris comment se servir de formules qui frappent les esprits. Toute personne travaillant dans la communication apprend à manier les ressources d’un idiome à cette fin. Dans ce cas, on est dans la persuasion, pas dans l’information.
De fait, libeller l’intitulé d’un article ou d’une émission n’est jamais voué au hasard.
Je l’avais fait remarquer il y a tout juste 7 ans, jour pour jour, le 2 février 2014 lorsque j’ai, pour la dernière fois été invitée à m’exprimer sur la RTSau sujet de la Russie mais surtout de son Président.
On m’avait contactée pour me demander si j’étais d’accord de parler de « la personnalité de Poutine ».
C’était quelques jours avant l’ouverture des JO de Sotchi. Or lorsque, la veille de l’émission à laquelle j’étais invitée, j’ai découvert sur le site de la RTS, l’intitulé qui lui avait été donné, je n’ai pu m’empêcher d’y réagir en direct sur les ondes.
Cela dit, dans un prochain entretien avec Jacques BAUD, nous allons revenir sur l’affaire Navalny, le soi-disant empoisonnement au Novitchok, les manifestations qui ont suivi son retour sur le sol russe et la manière particulièrement peu déontologique de nombre de médias d’en avoir traité.
Soyons clair, il n’est pas question, ici, de défendre une Russie idéale où aucune raison de mécontentement n’existerait. Non, de loin pas. Il est de déplorer la manière plus que tendancieuse qu’ont trop de nos journalistes de nous informer de ce qui s’y passe ou ne s’y passe pas.
Car couvrir, comme nos médias s’y emploient, les manifestations -interdites- qui se déroulent ces jours-ci dans ce pays de près de 144 millions d’habitants, c’est négliger bien des aspects du personnage qui les initie.
Ce qui est certain, c’est que nos médias, si prompts à dénoncer les dérives de préférence dues à des factions d’extrême droite, en sont les premiers soutiens.
Je vous invite, je les invite au cas où ce blog aurait soudain attiré leur attention, à découvrir comment Alexeï Navalny, certes en 2007 mais change-t-on vraiment, comment donc il traitait les activistes caucasiens.
Lesquelles de ces éminences qui hantent plateaux et colonnes de médias ont-elles eu connaissance de cette vidéo postée par celui dont le sort les émeut tant?
Et si la séquence leur était connue, quand aurait-elle été évoquée alors que, dans notre Occident si bien pensant, pareil racisme soulèverait l’indignation?
Informer, c’est cela?
C’est dénoncer le racisme ici et pas là? C’est abuser le public? C’est lui faire avaler n’importe quoi? Souvent, ici, l’éthique journalistique a été m mise en cause. Et surtout au sujet de la Russie, pays qui m’est cher, on le sait.
C’est dans ce sens que je réagis et dans aucun autre, consciente que je suis que rien n’est merveilleux dans aucun pays. Mais qu’en déformer la réalité comme s’y activent tant de nos médias équivaut à tromper et à trahir la confiance qui leur est -encore- accordée.
L’histoire d’un homme qu’on tente d’empoisonner, de son épouse qui le « sauve » et de l’énergie qu’elle déploie désormais pour faire entendre la voix d’une opposition au tout puissant Kremlin.
Il semble aller de soi qu’un conjoint assiste l’autre dans son combat.
Rien d’exceptionnel à ce que Ioulia Navanlnaya soit aux côtés de son blogueur de mari que nos médias s’obstinent à nous présenter comme « principal opposant » de Vladimir Poutine.
Nous y reviendront bientôt avec Jacques Baud qui nous a déjà livré de très instructives informations sur ce qui a été répété et continue d’être répété en boucle sur cette tentative d’empoisonnement au Novitchok.
Je vous invite, en attendant, à lire ou à relire ce sujet et celui-ci pour comprendre comment fonctionne l’information dans nos médias dits « mainstream ».
Depuis le temps que la Russie est en ligne de mire de nos si soucieux droits-de-l’hommistes!
Depuis le temps que toute personne qui présente une autre image de ce pays que celle qui doit s’imposer n’a plus droit de parole dans les médias mainstream, c’est à de la très fallacieuse information que l’on a droit.
Et oser le dire équivaut à se voir ostracisé. Pas belle notre liberté d’expression?
-Jacques BAUD, dans le précédent sujet de ce blog consacré à la fausse bannière et au « Russiagate », vous vous êtes demandé l’intérêt qu’aurait la Russie à autant d’ingérences dont elle est le plus souvent accusée et ce d’autant, avez-vous relevé, que « nos médias se plaisent à présenter Poutine comme un joueur d’échecs, une telle gestion des affaires défierait la logique. » Disposeriez-vous d’éléments susceptibles de nous éclairer sur l’usage informatique fait de la fausse bannière?
Jacques BAUD: –En octobre 2020, John Ratcliffe, Directeur du Renseignement National, déclassifie des documents de 2016 concernant la soi-disant « ingérence russe » dans l’élection de Trump. Il s’agit d’une analyse des services de renseignements russes interceptée par la CIA et d’une note de manuscrite de Brennan, alors Directeur de la CIA. Ces documents dévoilent qu’Hillary Clinton aurait approuvé, le 26 juillet 2016, la proposition de l’un de ses conseillers en politique étrangère de vilipender Donald Trump en créant un scandale en alléguant l’ingérence des services de renseignement russes. Bien que la note de déclassification précise que « la Communauté du Renseignement n’est pas en mesure d’évaluer cette information ni de déterminer dans quelle mesure l’analyse des renseignements russes peut résulter d’une exagération ou d’une fabrication », force est de constater que les services russes sont nettement supérieurs à leurs homologues occidentaux…
Associated Presstentera un « débunkage » en affirmant que l’analyse russe ne prouve rien. C’est une pièce d’anthologie de charlatanisme, car lorsqu’elle est bien faite, une analyse de renseignement (russe en l’occurrence) concerne le futur, et – puisque personne ne possède de boule de cristal – il est très rare qu’on ait à l’avance les preuves que quelque chose puisse se passer ! On a des preuves lorsqu’on travaille avec le passé ! Ici, la meilleure preuve que les services russes ont bien travaillé est que leur avertissement est arrivé avant la campagne de dénigrement lancée par le Parti Démocrate et s’est déroulé comme leur analyse l’anticipait.
Au passage, notons que si les services de renseignement occidentaux ont développé une remarquable capacité à collecter de l’information, les services russes ont généralement une capacité analytique très supérieure à celle des Occidentaux.
Au début décembre 2020, une cyberattaque touche le logiciel Orion de la firme SolarWinds, qui gère des réseaux informatiques américains. La firme de sécurité informatique FireEye estime qu’il s’agit d’ « une attaque par une nation dotée de capacités offensives de haut niveau ». Comme Microsoft, elle n’attribue pas cette attaque à un pays particulier.
Mike Pompeo accuse la Russie, tandis que Donald Trump minimise le rôle de la Russie et pointe du doigt la Chine. Les deux mentent. En fait, personne ne connait les auteurs de l’attaque et chacun donne libre cours à ses fantasmes.
Car aucun élément dans la signature ou les traces de l’intrusion n’indique un lien avec la Russie. Cela n’empêche pas Reutersd’évoquer des « hackers dont on pense qu’ils travaillent pour la Russie », niAssociated Press où « l’expert » Dimitri Alperovitch porte la même accusation. Pour rappel, Alperovitch, travaille pour la firme de sécurité informatique CrowdStrike, qui avait « analysé » les serveurs du Parti Démocrate en 2016 et qui – après avoir accusé la Russie – confessera plus tard devant une commission du congrès qu’elle n’avait trouvé aucune preuve de la responsabilité de la Russie. En décembre 2016, afin de justifier des tirs contre des civils, Alperovitch avait affirmé que la Russie avait piraté un bataillon d’artillerie ukrainien ; une information que l’on savait un peu grosse et qui s’avérera fausse, mais qui est relayée sans réserve par la RTS.
C’est sur ces fragiles bases que le 22 décembre 2020, le quotidienLe Tempsparle d’une « vaste cyberattaque attribuée à la Russie ».
En janvier 2021, quelques agences rassemblées dans un groupe de travail (UCG) comprenant l’Office du Directeur du Renseignement National (ODNI), le FBI, la Cybersecurity and Infrastructure Security Agency (CISA) et avec l’appui de la National Security Agency (NSA), publient une déclaration commune sur l’évènement. La Tribune de Genèveécrit :
La Russie est «probablement» à l’origine de la gigantesque cyberattaque décelée en décembre aux États-Unis, ont conclu mardi les services de renseignement américains.
Magnifique exemple de mensonge, teinté de complotisme (c’est-à-dire : voir des complots où il n’y en a pas !) visant à désinformer. La déclaration commune dit clairement que « L’UCG travaille encore pour comprendre la portée de l’incident » et qu’en l’état « Ce travail indique qu’un acteur de Menace Persistante Avancée (APT), probablement d’origine russe, est responsable… ». En d’autres termes, l’UCG n’a rien « conclu » à ce stade, ni affirmé qu’il s’agit de « la Russie », comme l’affirme la TdG. Tout au plus y-a-t’il des indications qu’il s’agit d’un « acteur basé en Russie ». En outre, ce ne sont pas « les » services de renseignement, mais « des » services de renseignement, car l’UCG n’en compte que deux (voire un seul (le FBI), l’autre – la NSA – ne fournissant qu’un appui technique) : l’ODNI n’est qu’un organe de coordination et la CISA une agence technique. On est donc dans la manipulation.
En fait, la TdG a simplement « singé » le New York Times, qui affirme depuis décembre 2020 que la NSA avait annoncé cette attaque, ce qui est faux, et qui affirme que la firme FireEye a attribué l’attaque à la Russie, ce qui est également faux, comme nous l’avons vu.
Donc, en réalité, encore à ce jour, personne ne sait d’où vient l’attaque informatique.
-En d’autres termes, Jacques BAUD, les exemples que vous venez de nous donner là illustrent, soit l’absence d’éthique journalistique, soit la volontaire orientation de l’information ou les deux ensemble dès lors que ces médias que vous citez, font de probabilités des affirmations sinon des vérités sans preuves avérées…Ce qui nous amène au coeur même de l’usage de la fausse bannière et de ses conséquences…
Jacques BAUD: -En 2017, sous le titre « Vault 7 », Wikileaks a publié une série de documents de la CIA, qui dévoilait quelques-uns de ses « outils », spécialement développés pour exploiter les failles de logiciels, qui n’ont pas encore été détectées par leurs fabricants (« zero day vulnerabilities »), et contre lesquelles n’existent pas encore de parades. Un des outils dévoilés est MARBLE FRAMEWORK, un logiciel spécialement conçu pour simuler les « modus operandi » de hackers, afin de couvrir les traces d’une intrusion en faisant croire à une attaque venant d’un autre pays, et laissant des traces en arabe, en russe, en chinois, en coréen ou en farsi… Un outil idéal pour la fausse bannière, également utilisé par Israël…
Bill Binney, ancien directeur technique de la NSA, explique que les soi-disant intrusions russes qui ont entouré le Russiagate ont été – en fait – perpétrées et fabriquées par la CIA grâce à cet arsenal informatique.
Cela explique que, quelle que soit la cible de l’attaque (politique, militaire, financière, industrielle, etc.) on tombe invariablement sur deux « acteurs » (APT 28 et APT 29) (des désignations créées par des firmes occidentales, attribuées – sans aucun élément de preuve – au FSB et au GRU russes). Or, s’il s’agissait des Russes il y aurait des objectifs stratégiques plus cohérents. Ainsi, c’est probablement les Américains ou les Israéliens qui ont utilisé ce logiciel pour pirater RUAG en janvier 2016, probablement dans le cadre d’une vente d’armes et de munitions au Service Fédéral de Protection russe (FSO) (et non de Surveillance, comme le traduit fallacieusement la TdG !). L’attaque a tout de suite été attribuée à la Russie, même s’il semble un peu surprenant que la Russie se risque dans une telle opération pour quelques pistolets qu’elle aurait achetés elle-même ! Il semble plus vraisemblable que d’autres acteurs aient cherchés des informations sur ces transactions, comme les États-Unis ou Israël. Contrairement aux Européens, ces derniers ont une lecture très exclusive de la notion d’ « alliance », et leurs pratiques n’excluent pas de tirer dans le dos de leurs amis…
Ainsi, lorsque Le Temps affirme que « le modus operandi de la vaste cyberattaque touchant administration américaine et multinationales met en cause la Russie », on est dans rien d’autre que du charlatanisme journalistique.
En conclusion, nous ne pouvons avoir aucune certitude. Mais ces actions sous fausse bannière ont deux conséquences essentielles : a) que nos services de renseignements peuvent être aisément dupés et b) que nos politiques étrangères (notamment les sanctions, condamnations, etc.) peuvent être facilement corrompues et être souvent fondées sur l’ignorance et sur la désinvolture.
Car comme nous l’avons déjà dit, ces actions d’influence répondent toujours à des enjeux et à des objectifs concrets. Aux États-Unis, les candidats des présidentielles de 2016 et 2020, sont arrivés au coude-à-coude. Mais on observe que l’énergie dépensée par les Démocrates pour convaincre – mesurée à leurs dépenses de campagne – a été en 2016 et en 2020 de 30-40% supérieure à celle des Républicains. Élu Démocrate en décembre 2020 en Géorgie, Jon Ossoff, est le candidat à une sénatoriale le plus « cher » de l’Histoire des États-Unis.
Comme nous l’avons vu, l’idée d’une collusion entre Trump et la Russie est tout simplement absurde. Ce que nous observons aujourd’hui n’a rien à voir avec la Russie. Face à sa propre faiblesse et son incapacité à convaincre largement, le parti Démocrate, doit affaiblir ses adversaires. C’est pourquoi, on a aujourd’hui une lutte pour évincer Trump définitivement en vue de la prochaine présidentielle…
-Dans notre précédent entretien, Jacques Baud, vous nous avez rappelé d’où la « fausse bannière » tire son origine. Vous avez également cité des exemples fort éloquents d’opérations menées sous fausse bannière. Qu’en et-il, selon vous, des cyberattaques dont il paraît si délicat de savoir d’où elles proviennent et ce qu’elles visent?
Jacques BAUD: -La forme moderne de la « fausse bannière » est l’exploitation des cyberattaques, dont l’attribution ne peut jamais être affirmée avec certitude. Ces dernières années, de telles attaques ont été attribuées à la Russie, à la Chine ou à l’Iran sans que l’on n’ait pu définir précisément la raison de les mener. En fait, c’est devenu un prétexte pratique pour les pays occidentaux, de pointer du doigt leurs ennemis et prendre des mesures contre eux.
L’archétype de ce type de problème apparait en 2007 : après que les autorités estoniennes ont entrepris de déplacer un monument dédié aux combattants soviétiques contre l’Allemagne nazie, le pays est complètement paralysé par une attaque informatique sans précédent. Les Occidentaux accusent immédiatement le gouvernement russe, affirmant que même s’il n’est pas impliqué directement, l’action n’aurait pas pu avoir lieu sans son approbation ! C’est de la désinformation.
En réalité, la responsabilité du gouvernement russe est très loin d’être démontrée : sur les 3 700 adresses IP qui ont déclenché l’attaque, 2 900 étaient russes, 200 ukrainiennes, 130 lettones et 95 allemandes. Un expert de la firme de sécurité informatique finlandaise F-Secure affirme :
En pratique, il n’y a qu’une seule adresse IP qui mène à un ordinateur gouvernemental. Il est bien sûr possible qu’une attaque ait également été lancée à partir de là, mais la personne impliquée peut être n’importe qui, du concierge d’un ministère à plus haut.
Donc, on accuse sans savoir : strictement rien ne démontre une implication des autorités russes et tout indique qu’il s’agit d’une action de la société civile, révoltée par la politique estonienne vis-à-vis de la minorité russophone. D’ailleurs, en janvier 2008, c’est un jeune Estonien russophone qui est arrêté et condamné pour cette attaque… Mais on continuera à accuser la Russie…
-Tout comme on l’a accusée d’ingérence dans l’élection américaine en 2016, pour ne citer que ce cas…
Jacques BAUD: -En 2016, l’ingérence de la Russie dans l’élection américaine est invoquée… En fait, c’est une histoire très technique, qui combine l’élection de Trump, les « magouilles » du parti Démocrate pour éliminer Bernie Sanders de la primaire du parti, et la fuite de courriels classifiés qu’Hillary Clinton avait envoyé sur un serveur privé afin d’échapper au contrôle parlementaire. Chacun de ces sujets mérite un développement séparé et je renvoie les lecteurs à mon livre « Gouverner par les Fake News » qui explique tous les tenants et aboutissant de l’histoire.
Le fond de l’affaire était de délégitimer la victoire de Donald Trump, que personne n’avait anticipée. En fait, comme à leur habitude, nos médias avaient analysé la campagne en fonction de leurs professions de foi et non des faits : la préférence du peuple américain était inconcevable… à moins d’avoir été soutenue par l’étranger ! Avec le recul et en dépit du désastre de la crise de la CoViD, l’écart très étroit entre Trump et Biden en 2020 montre que le soutien populaire pour Trump était bien là en 2016 et qu’il n’avait pas besoin d’aide extérieure. D’ailleurs, les comptes de la campagne de 2016 et de 2020 montrent que les Démocrates qui ont dû déployer plus de ressources pour convaincre leur électorat. Mais les complotistes ont la dent dure…
-A qui attribue-t-on précisément cette « ingérence russe »?
Jacques BAUD: -On attribue l’ « ingérence russe » à l’Internet Research Agency (IRA), qui serait une « ferme à trolls » associée au Kremlin. Les Occidentaux pointent du doigt les entités « APT 28 (FANCY BEAR) » et « APT 29 (COZY BEAR ou GRIZZLY STEPPE) », que l’on prétend affiliées respectivement au GRU (renseignement militaire russe) et au FSB (service de sécurité russe). Ces désignations sont en fait totalement arbitraires et se basent simplement sur la signature des méthodesde hacking utilisées. Quant à leur affiliation aux services russes, elle est aussi totalement fantaisiste, d’ailleurs aujourd’hui, constatant que ces affiliations n’avaient aucun sens, on les attribue au SVR (renseignements extérieurs russes). Ce qui démontre qu’il ne s’agit pas de constatations, mais d’hypothèses basées sur des professions de foi.
Quant à l’ingérence elle-même, pour résumer, selon Facebook, des « Russes » auraient dépensé 100 000 dollars pour environ 3 517 publicités entre juin 2015 et mai 2017. Selon l’université d’Oxford, ce montant s’élèverait à 73 711 dollars ; dont seulement 46 000 dollars avant l’élection. Google a trouvé que des « agents » ont acheté des publicités pour 4 700 dollars en « utilisant des comptes soupçonnés d’être liés au gouvernement russe » ; ainsi que pour 53 000 dollars d’annonces à vocation politique dont les paiements ramènent à la Russie, mais dont « on ne sait pas s’ils étaient liés au gouvernement russe », y compris 7 000 dollars pour promouvoir un documentaire contre Donald J. Trump, et 36 000 dollars pour demander si le président Barack Obama devait démissionner, ainsi que des annonces qui promouvaient le message d’Obama.
Un rapport commandité par la Commission sénatoriale du Renseignement (SSCI) constate que seuls 11 % des « posts » attribués aux « Russes » avaient un contenu politique, dont 33 % seulement ont déclenché une action associée (« engagements »). Les « posts » qui nomment Clinton ou Trump ne représentent que 6 % des tweets, 18 % des posts sur Instagram et 7 % des posts sur Facebook. Ainsi, non seulement la majeure partie des publicités n’avaient pas de caractère politique, mais seulement 277 ont touché les États-clés, déterminants pour la victoire de Trump.
Selon Facebook, environ 10 millions de personnes auraient vu au moins une des publicités payées par des Russes, dont 44 % avant les élections, et 56 % après, tandis qu’environ 25 % étaient destinées à des profils particuliers et n’ont jamais été vues par personne.
Le 6 janvier 2017, un rapport est publié par l’Office du Directeur du Renseignement National (ODNI) sur les tentatives d’ingérence supposées de la Russie, qui suit l’audition des représentants de certaines agences. Le journal Libération affirme :
Auditionnées ce jeudi au Sénat, les 17 agences d’espionnage estiment que « seuls les plus hauts responsables russes ont pu autoriser les vols et publications de données liées à l’élection ».
Laissant ainsi croire que l’ensemble des services de renseignement approuvent les conclusions du rapport. BFMTVva plus loin en affirmant que « l’implication de Poutine est confirmée », changée plus tard en « l’implication des Russes dans l’élection confirmée ». En réalité ces médias mentent. En juin 2017, leNew York Times accuse Trump de…
refuser encore de reconnaître un fait essentiel sur lequel se sont accordées 17 agences de renseignement américaines et qu’il supervise désormais : la Russie a orchestré les attaques et l’a fait pour l’aider à se faire élire.
Mais quatre jours plus tard, la rédaction corrige l’article en précisant que seules quatre agences ont soutenu l’accusation contre la Russie : l’ODNI, la CIA, le FBI et la NSA. Or, même parmi celles-ci il n’y a pas unanimité : si la CIA et le FBI ont une « haute confiance » dans l’implication de la Russie, la NSA (la seule agence capable de scruter le cyberespace), n’en a qu’une « confiance modérée ».
Le 18 janvier, Barak Obama lui-même avoue que le rapport est « peu concluant » sur la question du hacking et de la manière dont WikiLeaks a eu accès aux e-mails du Parti démocrate. Mais ici encore, les médias mainstream complotistes ne relèveront pas cette réserve…
En réalité, la stratégie de l’Internet Research Agency (IRA) s’apparente davantage à du marketing numérique qu’à une stratégie d’influence. Loin d’avoir la configuration d’une opération sophistiquée de propagande, il s’est agi d’un travail beaucoup plus simple, fonctionnant avec des « pièges à clicks » destinés à gagner de l’argent. C’est tout.
D’ailleurs, les liens entre l’IRA et le Kremlin ne sont pas avérés. L’acte d’accusation contre l’IRA, établi par Robert Mueller en février 2018, ne mentionne aucun lien avec le gouvernement russe. En outre, en juillet 2019, dans un avis et l’ordonnance qui l’accompagne, le juge fédéral Dabney L. Friedrich reproche au Rapport Mueller de suggérer que des activités d’influence « ont été entreprises au nom du gouvernement russe, sinon sous sa direction », alors qu’aucun élément ne lie l’IRA au gouvernement russe. Dans cette perspective, les affirmations deFrance24,BFMTV et d’autres relèvent tout simplement du complotisme : on crée des liens et des mécanismes de complot là où il n’y en a pas et on transforme des initiatives de trolls qui cherchent à gagner de l’argent en complot politique.
Le 14 juin 2016, parti Démocrate mandate CrowdStrike, une compagnie privée, pour démontrer l’implication de la Russie.
Le 7 mai 2020, la Commission parlementaire du Renseignement décide de déclassifier et publier un certain nombre d’auditions de témoins du Russiagate, parmi lesquelles celle de Shawn Henry, président de CrowdStrike. Il affirme qu’il n’avait « pas de preuve concrète que des données ont été exfiltrées du CND, mais des indications qu’elles ont été exfiltrées ». Le terme « exfiltré » laisse deux possibilités ouvertes : que les données ont été prises de l’extérieur (hacking) ou qu’elles ont été téléchargées sur un support local (clé USB). Questionné sur ces « indications », il confesse « que les données ont été préparées pour être exfiltrées, [ils n’avaient] tout simplement pas la preuve qu’elles sont effectivement parties ». Ce qu’il décrit suggère que les données (e-mails) ont été rassemblées avant d’être « exfiltrées », ce qui indique un téléchargement et non un hacking. En clair : on n’en sait rien, et les accusations contre la Russie ne sont que des spéculations.
Naturellement, les mêmes accusations ont été portées contre la Russie à l’occasion du vote sur le Brexit. Mais là aussi, malgré les efforts pour exploiter ces accusations afin d’invalider le vote, on peut constater que qu’ils relèvent de la mauvaise foi et des mauvaises pratiques journalistiques.
Sur Twitter, 419 comptes – considérés comme basés en Russie – ont émis 3 468 « tweets » sur le thème du Brexit, dont 78 % après le vote ! Le montant total dépensé par Russia Today en publicités sur Twitter s’élève à £767 (env. CHF 950) ; tandis que sur Facebook des comptes liés à la Russie ont dépensé au total… moins de €1 pour trois publicités, toutes liées à l’immigration, sans mentionner le Brexit !Mais cela n’empêche pas le journal Libération d’affirmer qu’il y a eu une ingérence russe dans le scrutin, sans donner un seul élément qui le confirme. À part des considérations générales sur des actions attribuées à la Russie (comme une panne électrique le jour du scrutin), la journaliste joue sur la confusion entre ce qui « vient de Russie » et ce qui serait mené par le gouvernement russe.
-Jacques Baud, les constats que vous dressez sont loin d’êtres anodins! Ils révèlent, en tous les cas, à quel point nos médias se contentent de relayer des soi-disantes informations qui, comme vous venez de le démontrer, sont sans fondement assuré ni confirmé.
Jacques BAUD: -Au fil des mois, l’ingérence russe dans la présidentielle américaine apparaît comme une gigantesque mystification. Ainsi, les médias ont mis le projecteur sur les attaques contre le Comité national démocrate (CND), mais bien peu ont mentionné que le Comité national républicain (CNR) avait également été l’objet d’attaques informatiques. De même, ils se sont concentrés sur la manière dont les courriels du CND ont été obtenus, mais ont négligé leur contenu, qui aurait pu être dévastateur pour le parti démocrate. Finalement, le Russiagate a été une manière magistrale de masquer les faiblesses de la candidate démocrate et de sa stratégie.
La lecture française de la présidentielle américaine est basée sur une réflexion linéaire, influencée par sa propre culture politique, où l’impact d’une stratégie de campagne est faible. Or, dans le système américain des Grands Électeurs, qui donne aux États un poids différent, la stratégie a une importance considérable. Ainsi le site Fivethirtyeight, de la chaîne ABC News, a-t-il comparé les stratégies des deux candidats : le Wisconsin était un État-clé mais Hillary Clinton ne l’a pas visité une seule fois durant la campagne. En fait, la candidate démocrate a délaissé les États qu’elle considérait comme « acquis », alors que l’équipe Trump s’est concentrée sur les États qui pouvaient « lui rapporter le plus ».
En octobre 2019, la Commission sénatoriale du Renseignement publie son rapport final, émaillé de préjugés simplistes et d’affirmations gratuites, mais confirme néanmoins que :
L’écrasante majorité du contenu diffusé par l’IRA n’exprimait pas de soutien clair à l’un ou l’autre des candidats à la présidence.
Un mois plus tard, le Journal de l’Académie des sciences américaine publie une étude approfondie des « tweets » durant la campagne électorale, qui conclut que les comptes créés par l’IRA n’ont pas eu d’impact sur le comportement des électeurs. Une étude conduite en 2017 indique que le Russiagate n’est que l’« hystérisation » d’une campagne de « pièges à clics » menée par des groupes d’informaticiens en Russie et en Roumanie pour gagner de l’argent. Si le gouvernement russe s’était effectivement ingéré dans l’élection, on ne voit pas exactement pourquoi et comment la Russie aurait mis à profit ce travail, puisque rien n’indique qu’elle a été faussée.
La question ici – comme dans les autres affaires que l’on attribue sans aucune preuve à la Russie (et à Poutine) – est: Pourquoi la Russie prendrait-elle des risques politiques aussi énormes pour des gains aussi minimes? Alors que nos médias se plaisent à présenter Poutine comme un joueur d’échecs, une telle gestion des affaires défierait la logique.
Par ailleurs, il est assez pathétique de voir le pays qui a fomenté des coups d’État plus de 60 pays, qui s’est le plus impliqué – y compris de manière criminelle – dans les affaires d’autres pays, qui a soutenu et organisé des actes terroristes, et a tenté d’assassiner Fidel Castro 638 fois (!), pleurnicher aujourd’hui sur l’éventualité que d’autres puissent s’ingérer dans ses affaires.
Il est tout aussi pathétique de voir nos médias et nos journalistes se contenter d’informations aussi sommaires pour porter des jugements. Car aujourd’hui, malgré le fait que rien n’a démontré une responsabilité du gouvernement russe dans cette affaire, on continue à en faire une vérité intangible : nos journaux et bien de nos journalistes auraient fait merveille dans les années 30 en Allemagne ou en Italie ! Vous ne me croyez pas ? Nous y reviendrons dans notre prochain entretien…
-Jacques Baud, dans nos précédents entretiens sur la guerre d’influence, vous aviez proposé de l’aborder de manière méthodique en nous arrêtant sur ses différents aspects que sont l’influence, les mesures actives, la propagande et la censure, la désinformation, la fausse bannière et la mésinformation. Il nous reste à aborder avec vous la fausse bannière et la mésinformation. Pour rappel à qui le souhaiterait, l’ensemble de nos entretiens est accessible en cliquant sur ce lien.
Jacques BAUD: –L’action dite « sous fausse bannière » est une forme de désinformation qui a pour but d’attribuer faussement une action à un acteur particulier. L’expression a son origine dans la pratique des pirates d’utiliser de faux pavillons pour s’approcher de leur proie. C’est comme ça que les Japonais ont justifié leur attaque contre la Chine, après l’attentat de Mukden en 1937. Aujourd’hui, cette pratique est utilisée pour dévier des accusations vers un tiers. Il est important de noter que de telles opérations ont toujours un objectif concret, comme nous le verrons.
Au début des années 1950, les États-Unis sont tentés de soutenir les régimes nationalistes et panarabes en Egypte et en Syrie, tandis que la Grande-Bretagne cherche à se désengager du Proche-Orient. De son côté, Israël sent sa sécurité menacée et cherche à prévenir la constitution d’une coalition arabe. En 1954, l’Etat hébreux lance donc une opération sous fausse bannière : l’Opération SUSANNAH, conçue et exécutée par l’AMAN, le service de renseignement militaire israélien. Il s’agissait de mener des attentats terroristes contre des cibles anglaises, américaines et égyptiennes, puis de les attribuer aux Frères Musulmans afin de provoquer une intervention anglo-américaine. Mise à jour par la sécurité égyptienne, l’opération se solde par un fiasco retentissant, poussant Pinhas Lavon, ministre de la Défense israélien à la démission. Elle devient l’« Affaire Lavon » et provoque une vague mondiale d’indignation. Elle se traduit par l’expulsion des juifs d’Egypte et de plusieurs autres pays arabes, malgré que les communautés juives et arabes y avaient jusqu’alors cohabité en bonne intelligence. On attribuera ces expulsions à l’antisémitisme, mais en réalité, ces pays craignent d’être victimes des mêmes provocations. Cet épisode inspirera le livre Eurabia, de Bat Ye’or, dont la famille est alors expulsée d’Egypte. Le livre inspire à son tour l’idée d’un complot islamiste – propagée par Conspiracy Watch (un comble !) – visant à établir un « califat mondial », qui nourrit les fantasmes de l’extrême-droite en Europe, et l’ouvrage de Sylvain Besson, du journal Le Temps, que nous avons déjà évoqué. Nous y reviendrons en parlant du terrorisme.
-Sylvain Besson, donc ce journaliste du quotidien suisse autrefois dit « de référence » qui a commenté la parution de votre livre de telle manière qu’il aura favorisé la série d’entretiens que nous avons dont le deuxième, justement, évoque cet ouvrage Eurabia. Mais poursuivons avec la fausse bannière et son recours dans divers cas que vous allez évoquer …
Jacques BAUD: -Un autre exemple d’événement « sous fausse bannière » a été le massacre de la population civile de Benghazi par l’armée libyenne en mars 2011. Les médias occidentaux relaient les déclarations de Moustafa Abdul Jalil, alors dirigeant de la révolution libyenne et chef du Conseil national de transition (CNT), selon lesquelles Kadhafi s’apprêterait à tuer plus d’un demi-million de Libyens. Le 27 mars 2011, sur les ondes d’ABC News, Hillary Clinton, alors Secrétaire d’Etat, évoque des dizaines de milliers de morts. Mais en 2014, Moustafa Abdul Jalil, avouera que le massacre de Benghazi n’a jamais été ordonné par Kadhafi, mais a été mis en scène par les islamistes, en intelligence avec ceux qui prônaient l’intervention occidentale. Ce soi-disant « massacre de Benghazi », rapporté par Bernard-Henri Lévy sera, de son propre aveu, déterminant pour l’intervention internationale et de la France. D’ailleurs, il avouera s’y être engagé « en tant que juif » et avoir « porté en étendard ma fidélité à mon nom et ma fidélité au sionisme et à Israël », s’abritant ainsi derrière le drapeau français. On est dans la « fausses bannière » au sens littéral du terme. Par ailleurs, on notera au passage, que la laïcité républicaine – qui veut que la politique soit séparée de la religion – ne semble devoir s’appliquer qu’aux musulmans…
En août 2013, la tentation est forte pour l’opposition syrienne d’utiliser ce même stratagème pour tenter de provoquer une intervention occidentale contre le gouvernement syrien avec l’attaque chimique de la Ghouta. Un an plus tôt, le 20 août 2012, le président Obama avait évoqué une « ligne rouge » concernant l’usage d’armes chimiques en Syrie. Mais, contrairement à ce qu’a rapporté la presse internationale, il ne s’adressait pas uniquement à Bachar al-Assad, mais aussi à « d’autres acteurs sur le terrain », car les services américains savent alors que les rebelles disposent d’une capacité chimique. En août 2013, comme le rapporte Obama lui-même dans une interview du média « The Atlantic », les services de renseignement américains flairent une action « sous fausse bannière » et conseillent au président Obama, qui « en était venu à croire qu’il allait dans un piège, tendu à la fois par les alliés et par les adversaires » de ne pas intervenir. Tous nos médias – y compris ceux qui se donnent pour mission de se baser sur les faits comme Conspiracy Watch – propagent de manière peu honnête une information tronquée, par l’entremise de journalistes menteurs comme Antoine Hasday, qui nie même cette explication, confirmée par Obama lui-même !
Les attaques (ou tentatives) contre des pétroliers dans le Golfe ou des installations pétrolières saoudiennes sont attribuées à l’Iran. Mais quel serait l’intérêt de l’Iran ? Déclencher une riposte américaine contre lui ? En fait, personne ne sait qui sont les auteurs de ces attentats. Curieusement, l’idée de telles actions « sous fausse bannière » contre des pétroliers dans le Golfe a été décrite par un think-tank américain en 2009 déjà, avec pour objectif de provoquer une réaction militaire contre l’Iran.
Comme pour le récent assassinat de Mohsen Fakhrizadeh, on évoque la responsabilité d’Israël, par l’entremise du Modjahedin-e-Khalq (MeK).
Le MeK (ou Moudjahidines du Peuple Iranien) est un mouvement d’opposition iranien de tendance marxiste. Malgré ses nombreux crimes contre les droits de l’Homme, ses attentats et assassinats, le MeK n’a jamais été considéré comme terroriste en France. Il a participé au renversement du Shah en 1979 avec les islamistes, et a servi de prétexte pour accuser Saddam Hussein de soutenir le terrorisme international. Il figure sur la liste des mouvements terroristes du Département d’Etat américain dès 1997, mais après la Guerre du Golfe, la volonté croissante des États-Unis de renverser le régime iranien, pousse le MeK à « se vendre ». En 2002, le MeK accuse l’Iran de développer l’arme nucléaire et publie des documents fabriqués par le Mossad israélien ! Des combattants du MeK sont alors formés en Irak par le Joint Special Operations Command (JSOC) américain pour mener des attentats et des assassinats en Iran. Depuis 2005, Israël les l’utilise pour mener des attentats en Iran, notamment pour assassiner des ingénieurs nucléaires entre 2007 et 2010. L’emploi du MeK par Israël pour mener ses basses œuvres contre l’Iran a suscité la réprobation aux États-Unis, mais a connu un regain d’intérêt avec l’administration Trump, sans susciter de réactions dans les médias et les journalistes qui soutiennent le terrorisme (et qui devraient en répondre pénalement…) En 2012, le MeK est retiré de la liste américaine des mouvements terroristes après une intense campagne de lobbyisme.
Depuis le début des années 50, une constante de la politique étrangère d’Israël est de pousser l’Occident à s’impliquer militairement dans la région, et même s’il n’utilise pas toujours la « fausse bannière » pour y parvenir, tout concourt à cet objectif.
Par exemple, en octobre 1983, comme le révèle Victor Ostrovsky, ex-agent du Mossad, dans son ouvrage By Way of Deception, Israël savait qu’un attentat était en préparation contre le contingent américain à Beyrouth, mais n’a délibérément pas averti son allié, afin de le pousser à s’engager dans le conflit.
Dans le même esprit, Israël pousse les États-Unis à mener des actions à l’effet douteux. Ainsi, en janvier 2020, c’est sur des renseignements israéliens, que les États-Unis ont éliminé Qassem Soleimani. La presse occidentale emboite le pas de Donald Trump, comme Swissinfo et Le Temps, qui affirment qu’il préparait « des attaques imminentes ». Le Courrier International titre même « Bon Débarras »,… comme la publication « Al-Naba » de l’Etat Islamique !
En réalité, le général iranien était alors en mission diplomatique de paix afin de réduire les tensions avec l’Arabie Saoudite ; c’est pourquoi il voyageait officiellement…
On voit donc que nos médias ont une relation « à géométrie variable » avec l’Etat de Droit. Pour comprendre cette dynamique contre-intuitive, il faut savoir que, contrairement à ce qu’ils tentent de faire croire, les intérêts israéliens et occidentaux au Proche-Orient ne coïncident pas. Pour simplifier à l’extrême : les réfugiés Palestiniens des années 60-70 en Syrie combattent aux côtés de l’armée syrienne et l’Etat Islamique combat le Hamas palestinien (qu’Israël a financé pour combattre le Fatah « sous fausse bannière »)… C’est pourquoi, même s’il est faux de dire que les Occidentaux (Américains, Israéliens, Turcs, etc.) ont créé l’Etat Islamique, ils l’ont laissé se développer jusqu’à pousser la Russie à s’engager, comme le confesse John Kerry lui-même. Ensuite, les médias se déchaineront contre « l’expansionnisme » de Vladimir Poutine : c’est de la désinformation pure et simple !Mais nous pourrons y revenir plus en détail en traitant du terrorisme, que nos médias ont tout fait pour attiser…